Imaginez glisser sur l’océan à plus de 40 nœuds, porté par des foils qui soulèvent des dizaines de tonnes au-dessus des vagues. C’est exactement ce que vit en ce moment même Thomas Coville et son équipage à bord de Sodebo Ultim 3. Parti hier soir d’Ouessant, le trimaran géant s’est lancé dans l’une des aventures les plus extrêmes de la voile moderne : battre le record absolu du tour du monde sans escale, le célèbre Trophée Jules Verne.
Un Défi Légendaire Qui Hante les Marins
Le Trophée Jules Verne, c’est plus qu’une course. C’est une quête presque mystique. Parcourir les 21 600 milles autour des trois grands caps – Bonne Espérance, Leeuwin et Horn – le plus rapidement possible, en équipage et sans assistance. Le chrono à battre ? Celui établi en 2017 par Francis Joyon et son équipe : 40 jours, 23 heures, 30 minutes et 30 secondes. Un temps qui semblait alors insurmontable, surtout réalisé sur un bateau non volant.
Aujourd’hui, les Ultim nouvelle génération, capables de voler au-dessus de l’eau, ont changé la donne. Pourtant, huit ans plus tard, ce record tient toujours. Pourquoi ? Parce que tout doit s’aligner parfaitement : la météo, la fiabilité du bateau, la cohésion de l’équipage et une bonne dose de chance pour éviter les collisions avec les objets flottants.
Un Départ Préparé dans l’Urgence
Thomas Coville n’a pas attendu longtemps. À peine six semaines après avoir terminé deuxième de la Transat Café L’Or avec Benjamin Schwartz, le voilà reparti. Le timing était serré, mais prévu depuis le début de saison. L’hiver dernier, une tentative avortée avait laissé des traces. L’équipe s’était promis : si le bateau rentrait en bon état de la transat, on retenterait le Jules Verne.
À l’arrivée du convoyage retour en Bretagne, l’Ultim était intact. Trois semaines seulement pour tout démonter, vérifier chaque pièce, chaque système, puis tout remonter. Un exploit technique qui témoigne de la mobilisation exceptionnelle de l’équipe shoreside.
Le départ a eu lieu lundi soir à 21h01 précises. Objectif : franchir la ligne imaginaire entre Ouessant et le cap Lizard, puis revenir avant le 25 janvier à 20h31’35’’. Moins de 40 jours et 23 heures pour inscrire son nom au palmarès.
Un Équipage Habité par le Record
À bord, huit hommes partagent la même obsession. Thomas Coville, bien sûr, le skipper expérimenté qui a déjà détenu le record à deux reprises. D’abord en 1997 aux côtés d’Olivier de Kersauson, puis en 2010 avec Franck Cammas. Deux expériences gravées dans sa mémoire comme des moments de grâce absolue.
« À bord, on est tous habités par ce record »
Thomas Coville
Autour de lui, Frédéric Denis, Léonard Legrand, Pierre Leboucher, Guillaume Pirouelle, Benjamin Schwartz et Nicolas Troussel. Des marins d’élite, rompus aux courses océaniques les plus dures. Pour la plupart, c’est leur première tentative sur ce trophée mythique. Une motivation supplémentaire pour le skipper qui veut leur offrir cette victoire collective.
La complémentarité est totale. Chacun apporte son expertise : navigation, réglages, routage, gestion de l’énergie à bord. Car sur ces géants volants, tout est optimisé pour la performance. Le moindre gramme superflu a été traqué, chaque manœuvre répétée des centaines de fois.
Pourquoi Ce Record Résiste-T-Il Encore ?
Sur le papier, les Ultim actuels sont bien plus rapides que l’ancien trimaran de Joyon. Alors pourquoi personne n’a encore réussi à faire tomber ce temps ? La réponse tient en quelques mots : alignement des planètes.
Il faut d’abord une fenêtre météo exceptionnelle sur l’ensemble du tour. Des dépressions bien placées dans l’Atlantique Sud, un océan Indien clément – ce qui est rare –, puis un Pacifique favorable avant le redouté cap Horn. Ensuite, le bateau doit tenir le choc. Les charges sont colossales quand on vole à plus de 45 nœuds dans des mers formées.
Enfin, il y a le facteur chance. Éviter les growlers au sud, les containers perdus, les OFNI (objets flottants non identifiés) qui peuvent détruire un safran ou un foil en une fraction de seconde. Comme l’explique Coville lui-même :
« Il faut avoir un bon bateau, un bon équipage et une bonne météo. Ensuite, il ne faut rien heurter et enfin, il faut bénéficier de cette réussite dont tous les sportifs parlent »
Le record de 2017 a bénéficié de conditions presque parfaites. Les tentatives suivantes ont souvent été stoppées net par des avaries ou des météos défavorables. Cette fois, les premiers signes sont encourageants : après douze heures de mer, Sodebo affichait déjà 90 milles d’avance au large du cap Finisterre.
Sous les 40 Jours : Rêve ou Réalité ?
Officiellement, il suffit de battre le record d’une minute pour l’emporter. Mais dans l’esprit de tous, la barre symbolique des 40 jours plane comme un Graal ultime. Est-ce réalisable ? Les architectes et les marins en sont convaincus. Les simulations montrent que les Ultim actuels en ont le potentiel.
Thomas Coville reste prudent, mais laisse filtrer une pointe d’ambition :
« Passer sous les 40 jours, ça paraît inimaginable, mais on sait que les bateaux en sont capables »
Les records intermédiaires tombent déjà régulièrement. L’équateur en moins de cinq jours, le cap de Bonne Espérance en onze… Les performances brutes sont là. Reste à tenir sur la durée, à gérer la fatigue, les conditions extrêmes dans les mers du Sud où les vagues peuvent atteindre vingt mètres.
L’Héritage d’une Lignée de Géants
Thomas Coville n’est pas un novice. Son parcours force le respect. Premier tour du monde en 1997 comme remplaçant sur le bateau d’Olivier de Kersauson. Une expérience fondatrice avec un personnage hors norme. Puis la victoire en 2010 avec Franck Cammas, un moment qu’il place parmi les plus beaux de sa carrière.
Ces succès passés nourrissent la détermination actuelle. Le skipper sait ce que représente ce trophée : être, l’espace d’un instant, l’équipage le plus rapide à avoir jamais fait le tour de la planète. Une trace dans l’histoire de la voile, au même titre que les pionniers qui ont repoussé les limites avant lui.
Aujourd’hui, c’est avec une nouvelle génération de marins qu’il tente l’aventure. Une transmission de passion, de savoir-faire, d’ambition démesurée. Battre le record avec des équipiers qui ne l’ont jamais fait, voilà ce qui anime particulièrement Coville.
Les Défis à Venir sur la Route
La descente de l’Atlantique Nord est souvent rapide, mais c’est dans l’hémisphère Sud que tout se joue vraiment. La zone des alizés de Sainte-Hélène, puis la bascule dans les quarantièmes rugissants. L’océan Indien, réputé pour ses mers croisées et ses dépressions violentes, sera un premier test majeur.
Puis viendra le Pacifique, immense et imprévisible. Enfin, le cap Horn, ce mythe absolu où tant de records se sont brisés. Remonter ensuite l’Atlantique Sud et Nord demandera une gestion fine de la fatigue accumulée et des dernières forces.
Chaque mille compte. Chaque choix de route peut faire gagner ou perdre des heures précieuses. À bord, la vie s’organise en quarts, en veille permanente, entre manœuvres, réglages et repos minuté. L’alimentation, l’hydratation, la gestion du sommeil : tout est calibré pour maintenir la performance au plus haut niveau pendant plus d’un mois.
Les clés du succès selon Thomas Coville :
- Un bateau parfaitement préparé et fiable
- Un équipage soudé et expérimenté
- Une météo favorable sur l’ensemble du parcours
- Éviter tout impact avec des objets flottants
- Une pointe de réussite indispensable
Un Record Qui Fait Rêver le Monde de la Voile
Le Trophée Jules Verne captive bien au-delà du milieu nautique. C’est l’une des dernières grandes aventures humaines modernes. Pas de prix en cash, pas de public sur place, juste la satisfaction d’avoir repoussé les limites du possible.
Chaque tentative est suivie avec passion par des milliers d’amateurs. Les routages, les positions, les vitesses : tout est scruté heure par heure. Et quand un équipage s’approche du record, l’excitation monte d’un cran.
Cette année, plusieurs teams sont en stand-by. Des projets féminins, d’autres avec des bateaux neufs… La concurrence est rude. Mais Coville et Sodebo ont pris les devants. Ils sont en mer, ils ont l’avantage du timing. Reste à transformer l’essai.
L’aventure ne fait que commencer. Dans quelques semaines, nous saurons si Thomas Coville et ses hommes ont réussi à inscrire une nouvelle page dans l’histoire de la voile océanique. Une chose est sûre : ils y mettront toute leur énergie, toute leur passion. Car pour eux, ce record n’est pas qu’un temps. C’est une quête qui les habite profondément.
Suivre cette tentative, c’est aussi se rappeler que l’être humain est capable de se dépasser quand il poursuit un rêve plus grand que lui. Bonne route à eux, et que les océans leur soient favorables.









