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Thaïlande : Crise Politique et Manifestations

À Bangkok, 4 000 manifestants demandent la démission de la Première ministre. Une fuite d’un appel avec Hun Sen ravive les tensions. Que va-t-il se passer ensuite ?

Imaginez une foule de 4 000 personnes envahissant les rues de Bangkok, leurs voix résonnant autour du Monument de la Victoire, drapeaux thaïlandais à la main. Ce samedi, la capitale thaïlandaise a été le théâtre d’une manifestation d’ampleur, où des citoyens, majoritairement âgés, ont exprimé leur colère contre la Première ministre Paetongtarn Shinawatra. Une fuite d’un appel téléphonique avec l’ancien dirigeant cambodgien Hun Sen a mis le feu aux poudres, ravivant des tensions historiques dans un pays où la politique est un terrain miné.

Une Crise Politique Enracinée

La Thaïlande, deuxième économie d’Asie du Sud-Est, n’est pas étrangère aux soubresauts politiques. Depuis des décennies, le pays oscille entre périodes de stabilité fragile et crises explosives. Au cœur de ce tumulte se trouve une lutte de pouvoir entre deux camps : les Chemises jaunes, défenseurs de la monarchie et de l’armée, et les Chemises rouges, fidèles à la dynastie Shinawatra. Ce conflit, loin d’être nouveau, trouve ses racines dans les années 2000, lorsque Thaksin Shinawatra, père de l’actuelle Première ministre, était au pouvoir.

La manifestation de samedi illustre cette fracture. Les protestataires, parmi lesquels d’anciens militants des Chemises jaunes, reprochent à Paetongtarn Shinawatra un manque de compétence et une atteinte à la souveraineté nationale. Une fuite d’un échange téléphonique avec Hun Sen, ex-Premier ministre cambodgien, a amplifié leur mécontentement. Dans cet appel, Paetongtarn a utilisé un ton jugé trop familier et a fait des commentaires controversés, notamment en qualifiant un général thaïlandais d’opposant. Pour beaucoup, ces propos trahissent une faiblesse dans sa gestion des affaires diplomatiques.

Les Origines de la Colère Populaire

La grogne populaire ne date pas d’aujourd’hui. La dynastie Shinawatra, bien que populaire auprès d’une partie de la population, est depuis longtemps dans le viseur des élites conservatrices. Thaksin Shinawatra, figure centrale de cette famille, a été Premier ministre avant d’être renversé par un coup d’État militaire en 2006. Depuis, son clan reste un symbole de division : adulé par les classes rurales et populaires, détesté par les royalistes et l’establishment militaire.

“Je suis ici pour protéger la souveraineté de la Thaïlande. Après avoir entendu l’appel qui a fuité, j’ai su que je ne pouvais pas lui faire confiance”, confie Seri Sawangmue, un manifestant de 70 ans.

Seri, qui a voyagé toute la nuit depuis le nord du pays, incarne l’état d’esprit de nombreux manifestants. Pour eux, Paetongtarn, novice en politique, n’a pas les épaules pour diriger un pays aussi complexe. Son appel avec Hun Sen, destiné à apaiser les tensions après un incident frontalier meurtrier, a au contraire attisé les critiques. En cause : un ton perçu comme trop décontracté et des propos maladroits, notamment l’utilisation du terme oncle pour s’adresser à Hun Sen, jugée irrespectueuse par les traditionalistes.

Un Pays Divisé : Chemises Jaunes Contre Chemises Rouges

La manifestation de samedi a réuni une foule hétérogène, composée en grande partie de personnes âgées et d’anciens militants des Chemises jaunes. Ces derniers, fervents défenseurs de la monarchie, ont joué un rôle clé dans les mouvements de rue qui ont déstabilisé les gouvernements Shinawatra par le passé. Mais la foule comptait aussi des figures inattendues, comme Jamnong Kalana, 64 ans, une ancienne Chemise rouge désormais passée dans le camp adverse.

“Je ressens beaucoup de douleur lorsque je vois une compatriote thaïlandaise qui n’aime pas le pays comme moi”, déclare Jamnong, marquant son revirement.

Ce basculement illustre la complexité des loyautés en Thaïlande. Les Chemises rouges, majoritairement issues des classes populaires, soutiennent Thaksin pour ses politiques sociales. Les Chemises jaunes, en revanche, le perçoivent comme une menace à l’ordre traditionnel. Cette fracture idéologique continue de nourrir les tensions, transformant chaque crise en un affrontement symbolique entre deux visions du pays.

Les Clés pour Comprendre la Division Thaïlandaise

  • Chemises jaunes : Soutiennent la monarchie et l’armée, souvent issus des classes urbaines et conservatrices.
  • Chemises rouges : Fidèles à Thaksin Shinawatra, majoritairement ruraux et populaires.
  • Contexte historique : Une douzaine de coups d’État depuis 1932, reflétant l’influence de l’armée.
  • Enjeu actuel : La légitimité de Paetongtarn Shinawatra face aux élites traditionnelles.

Un Appel Téléphonique Controversé

Le scandale qui a déclenché la manifestation trouve son origine dans un appel entre Paetongtarn et Hun Sen, ancien dirigeant autoritaire du Cambodge. Cet échange, qui a fuité dans les médias, visait à désamorcer une crise diplomatique après la mort d’un soldat cambodgien dans une zone frontalière disputée. Mais les propos tenus par la Première ministre ont choqué une partie de la population.

En qualifiant un général thaïlandais d’opposant et en adoptant un ton jugé trop familier avec Hun Sen, Paetongtarn a alimenté les accusations d’incompétence. Pour les manifestants, cet incident révèle un manque de respect envers les institutions nationales et une méconnaissance des subtilités diplomatiques. La fuite de cet appel a également fragilisé la coalition au pouvoir, le parti Bhumjaithai ayant retiré son soutien à la Première ministre.

Une Coalition Fragilisée

Paetongtarn Shinawatra, en poste depuis moins d’un an, fait face à une tempête politique. Le retrait du Bhumjaithai, deuxième force de sa coalition, met en péril la stabilité de son gouvernement. Cette défection, combinée à la pression des manifestations, place la Première ministre dans une position précaire. Pourtant, elle a tenté de calmer le jeu, déclarant que les protestations sont un droit, à condition qu’elles restent pacifiques.

Plus d’un millier de policiers et agents municipaux ont été déployés pour encadrer la manifestation, qui s’est déroulée sans heurts. Mais la tension reste palpable, notamment à l’approche de deux échéances judiciaires majeures. La semaine prochaine, la Cour constitutionnelle examinera une pétition demandant la destitution de Paetongtarn pour manque de professionnalisme. Parallèlement, son père Thaksin fera face à un procès pour lèse-majesté, une accusation grave liée à des propos tenus il y a dix ans.

L’Ombre des Coups d’État

La Thaïlande a une longue histoire d’instabilité politique, marquée par une douzaine de coups d’État depuis la fin de la monarchie absolue en 1932. L’armée, pilier de la vie politique, n’hésite pas à intervenir lorsque ses intérêts ou ceux de la monarchie sont menacés. Cette menace plane sur le gouvernement actuel, surtout dans un contexte où les élites conservatrices perçoivent les Shinawatra comme une menace à l’ordre établi.

Pour les manifestants, la dynastie Shinawatra représente un danger pour la souveraineté et les traditions thaïlandaises. Pourtant, Paetongtarn bénéficie toujours du soutien d’une partie de la population, notamment dans les zones rurales où les politiques de son père ont laissé un héritage positif. Cette polarisation rend la situation explosive, chaque camp cherchant à imposer sa vision de l’avenir du pays.

Événement Impact
Fuite de l’appel avec Hun Sen Déclenche des manifestations et fragilise la coalition.
Retrait du Bhumjaithai Menace la stabilité du gouvernement.
Procès pour lèse-majesté de Thaksin Risque de raviver les tensions politiques.

Quel Avenir pour la Thaïlande ?

La crise actuelle pourrait redéfinir le paysage politique thaïlandais. Si la Cour constitutionnelle décide de destituer Paetongtarn, le pays risque de plonger dans une nouvelle période d’incertitude. De même, le procès de Thaksin pourrait attiser les tensions entre Chemises rouges et Chemises jaunes, chaque camp se préparant à défendre ses intérêts. Pour l’instant, la Première ministre tente de maintenir le cap, notamment en se rendant dans le nord du pays pour gérer les inondations, une crise parallèle qui ajoute à la pression.

La Thaïlande se trouve à un carrefour. Entre la tradition monarchique, l’influence militaire et les aspirations démocratiques d’une partie de la population, le pays doit naviguer avec prudence. La manifestation de samedi n’est qu’un symptôme d’un malaise plus profond, où chaque décision politique peut déclencher une réaction en chaîne.

Pour les Thaïlandais, l’enjeu est clair : préserver la stabilité tout en répondant aux aspirations d’une société divisée. La question reste ouverte : Paetongtarn Shinawatra parviendra-t-elle à surmonter cette tempête, ou son gouvernement deviendra-t-il une nouvelle victime de l’histoire tumultueuse de la Thaïlande ?

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