Imaginez-vous allongé dans le sable, le visage collé au sol, entouré de corps sans vie, le cœur battant à tout rompre, espérant que les assaillants vous croient mort. C’est l’histoire d’Umar Bulama, un homme de 34 ans qui a survécu à une attaque brutale de Boko Haram dans la ville de Darul Jamal, au nord-est du Nigeria, début septembre. Ce drame, marqué par une violence inouïe, nous rappelle que, malgré une baisse des attaques ces dernières années, la menace jihadiste reste une ombre pesante sur la région. Dans cet article, nous plongeons dans les récits poignants des survivants, les failles sécuritaires persistantes et les défis d’une réinstallation précipitée.
Un retour brisé par la violence
Le nord-est du Nigeria, et plus précisément l’État de Borno, est une région où la peur et l’espoir coexistent dans une tension permanente. Darul Jamal, une ville autrefois désertée après une attaque dévastatrice il y a une décennie, commençait tout juste à renaître. Encouragés par la fermeture progressive des camps de déplacés internes, des habitants comme Umar Bulama y revenaient, rêvant d’un nouveau départ. Mais ce fragile espoir s’est effondré sous les assauts de Boko Haram, révélant une vérité cruelle : de vastes zones rurales échappent encore au contrôle de l’État.
Le bilan officiel fait état d’au moins 63 morts, bien que des témoignages locaux, comme celui de Mommodu Isa, un commandant d’une milice d’autodéfense, évoquent un chiffre plus élevé, dépassant les 85 victimes. Ce massacre, survenu dans une ville censée être sécurisée, a transformé les rêves de reconstruction en cauchemar.
Des récits de survie déchirants
Pour Umar Bulama, la survie a tenu à un instinct désespéré. Allongé parmi les corps ensanglantés, il a retenu son souffle, jouant le mort pour échapper aux combattants. Après des heures d’angoisse, il a marché jusqu’à un poste militaire près de Banki, à la frontière camerounaise, laissant derrière lui ses voisins, ses amis, sa communauté. Son témoignage, empreint de douleur et de résilience, incarne le calvaire de nombreux habitants.
J’ai survécu, mais j’ai laissé mes voisins derrière moi, à jamais.
Umar Bulama, survivant de l’attaque
Aisha Umar, une femme de 70 ans, a vécu un cauchemar encore plus insoutenable. Revenue à Darul Jamal dans l’espoir d’y finir ses jours, elle a vu ses deux fils abattus sous ses yeux. Désormais hébergée chez des proches à Maiduguri, la capitale de l’État de Borno, elle exprime une colère mêlée de désespoir face aux promesses non tenues des autorités.
Ils nous ont dit que c’était sûr. Sûr ? Regardez les tombes.
Aisha Umar, rescapée
Ali Mustapha, un commerçant de 42 ans, raconte une fuite désespérée à travers un chaos de flammes et de balles. Tenant la main de sa fille, il a couru pour sauver leurs vies, mais sa femme n’a pas eu cette chance. Enterrer son corps de ses propres mains reste, pour lui, un geste d’amour ultime dans un océan de douleur.
Une menace jihadiste toujours présente
Si les violences de Boko Haram ont diminué depuis leur apogée il y a une décennie, le groupe et sa faction rivale, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), continuent de semer la terreur. Selon une analyse de l’ONG Good Governance Africa, ISWAP a intensifié ses actions au cours des six premiers mois de l’année, prenant le contrôle d’au moins 17 bases militaires dans la région. Cette résurgence met en lumière les failles d’un système sécuritaire dépassé.
Chiffres clés :
- 63 morts confirmés par les autorités, jusqu’à 85 selon des sources locales.
- 17 bases militaires capturées par ISWAP en 2025.
- Des milliers de déplacés internes forcés de retourner dans des zones instables.
Le ciel rougeoyant de Darul Jamal, décrit par Ali Mustapha, symbolise cette terreur omniprésente. Les cris des enfants, les sifflements des balles et les flammes dévorantes composent une réalité où la survie devient un exploit.
Un échec sécuritaire patent
Les autorités nigérianes, souvent discrètes sur leurs revers, ont été forcées de réagir après l’attaque. Le gouverneur de l’État de Borno, Babagana Zulum, s’est rendu sur place, confirmant le lourd tribut payé par la communauté. Pourtant, les habitants se sentent abandonnés, livrés à eux-mêmes dans des zones où l’État est quasi absent.
La fermeture des camps de déplacés, décidée par le gouvernement, visait à encourager le retour des populations dans leurs villages d’origine. Mais cet empressement, dénoncé comme précipité par des observateurs comme Habiba Yusuf, de l’ONG Mon Club International, expose les civils à de nouveaux dangers. Darul Jamal, redevenue une ville fantôme, incarne cet échec.
Cette attaque a réduit à néant des années de progrès.
Habiba Yusuf, salariée d’une ONG
Les défis de la réinstallation
La réinstallation des déplacés internes est un processus complexe, marqué par des tensions entre les impératifs humanitaires et les réalités sécuritaires. En fermant les camps, le gouvernement transfère la responsabilité de la protection des populations à des autorités locales souvent dépassées. Le désengagement progressif des ONG, qui jouaient un rôle clé dans l’aide aux déplacés, aggrave encore la situation.
Pour beaucoup, comme Aisha Umar, ce retour forcé dans des zones instables ressemble à une trahison. Les promesses de sécurité, martelées par les officiels, se heurtent à la réalité d’un contrôle territorial limité. Les habitants de Darul Jamal, qui avaient repris espoir en revenant chez eux, se retrouvent à nouveau déracinés, souvent sans ressources ni perspectives.
Problèmes | Conséquences |
---|---|
Fermeture des camps | Retour dans des zones non sécurisées |
Manque de contrôle étatique | Vulnérabilité face aux attaques |
Désengagement des ONG | Réduction de l’aide humanitaire |
Vers un avenir incertain
Le massacre de Darul Jamal n’est pas un incident isolé, mais un symptôme d’un problème plus profond. La persistance des groupes jihadistes, combinée à l’incapacité de l’État à sécuriser les zones rurales, maintient des milliers de personnes dans un cycle de peur et de déplacement. Les récits d’Umar, Aisha et Ali résonnent comme un cri d’alarme : sans une stratégie cohérente, les efforts de reconstruction risquent de s’effondrer.
Pour les habitants de Darul Jamal, le futur est flou. Certains, comme Aisha, ont trouvé refuge à Maiduguri, mais beaucoup errent encore dans la brousse, fuyant la violence sans savoir où aller. Les chiffres, bien que glaçants, ne racontent qu’une partie de l’histoire : derrière chaque nombre se cache une vie brisée, un espoir éteint.
Alors que le Nigeria lutte pour reprendre le contrôle de son territoire, une question demeure : comment restaurer la confiance d’une population trahie par des promesses de sécurité ? Darul Jamal, désormais silencieuse, attend des réponses.