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Terres Rares : L’Allemagne Courtise la Chine en Pleine Crise

La Chine resserre l’étau sur les terres rares et l’Allemagne envoie son ministre des Affaires étrangères à Pékin dès dimanche. Derrière les sourires diplomatiques, une question brûlante : l’Europe va-t-elle rester dépendante à ce point ? Ce qui se joue vraiment lors de cette visite...

Imaginez un instant que votre smartphone, votre voiture électrique ou même les éoliennes qui produisent votre électricité verte dépendent à 90 % d’un seul pays. Ce pays, c’est la Chine. Et en 2025, elle a décidé de serrer la vis. Résultat : l’Allemagne, première puissance industrielle d’Europe, se retrouve en première ligne et envoie son ministre des Affaires étrangères à Pékin dès ce dimanche. Une visite qui sent la poudre… économique.

Une visite très attendue après des mois de crispation

Johann Wadephul, chef de la diplomatie allemande, atterrira dimanche en Chine pour un voyage initialement prévu plus tôt mais reporté à cause de tensions commerciales. Ce n’est pas un hasard : il marche dans les pas de Lars Klingbeil, ministre des Finances, qui s’y est rendu fin novembre. À son retour, ce dernier avait parlé d’un « engagement clair » chinois concernant l’accès fiable aux terres rares. Promesse ou simple formule de politesse ? C’est tout l’enjeu de la mission Wadephul.

Car entre-temps, Pékin a drastiquement limité ses exportations de ces métaux stratégiques. L’onde de choc a traversé l’industrie mondiale comme un tsunami silencieux. Les usines allemandes tournent au ralenti, les prix flambent, les chaînes d’approvisionnement grincent. Berlin ne peut plus attendre.

Pourquoi les terres rares sont-elles soudainement devenues l’or du XXIe siècle ?

Les terres rares, ce n’est pas du gadget. Ce sont dix-sept éléments chimiques aux noms barbares – néodyme, dysprosium, terbium… – mais aux propriétés magnétiques et optiques uniques. Sans eux, pas de moteurs électriques performants, pas de turbines éoliennes efficaces, pas d’écrans OLED, pas de missiles guidés de précision.

La Chine concentre environ 60 % de la production mondiale et plus de 85 % du raffinage. Autant dire qu’elle tient l’Europe par le col. Quand Pékin tousse, c’est tout le Vieux Continent qui s’enrhume.

« Les restrictions ont des conséquences négatives directes sur les entreprises allemandes et européennes », a reconnu vendredi le porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères.

Un agenda diplomatique chargé, entre économie et géopolitique

Lundi, Johann Wadephul sera reçu par son homologue Wang Yi. Au menu : les terres rares, bien sûr, mais pas seulement. Les deux hommes parleront aussi de la guerre en Ukraine, du conflit au Proche-Orient, de la situation explosive en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan. Le respect des droits de l’homme sera également évoqué, même si ce sujet a souvent du mal à trouver sa place dans les discussions sino-allemandes quand les intérêts économiques sont en jeu.

Le programme est dense. Mardi, le ministre visitera Guangzhou, la mégapole du sud devenue un pôle technologique majeur. Il sera accompagné de représentants du monde économique et de la société civile. Un signal clair : Berlin veut montrer qu’il ne vient pas seulement négocier, mais aussi maintenir le lien humain et commercial.

La Chine redevient le premier partenaire commercial de l’Allemagne

Et pourtant, malgré les discours sur la « dérisquage » et la diversification, un chiffre parle de lui-même : en 2025, la Chine a repris sa place de premier partenaire commercial de l’Allemagne, devant les États-Unis. Les droits de douane américains imposés sous l’administration Trump puis maintenus ont fait mal au modèle exportateur allemand. Résultat : Berlin se tourne à nouveau vers Pékin, même si c’est la gorge serrée.

C’est toute l’ambiguïté de la relation : on critique, on sanctionne, on diversifie… mais on revient toujours. Parce que les usines allemandes ont besoin des composants chinois. Parce que les consommateurs chinois achètent encore des Mercedes et des machines-outils Made in Germany.

L’Europe coincée entre dépendance et volonté d’autonomie

La visite de Johann Wadephul n’est pas seulement bilatérale. Elle s’inscrit dans une stratégie européenne plus large. Bruxelles multiplie les initiatives pour réduire la dépendance : Critical Raw Materials Act, partenariats avec l’Australie, le Canada, l’Afrique… Mais le chemin est long. Recycler plus, extraire en Europe, développer des substituts : tout cela prendra des années.

En attendant, chaque restriction chinoise rappelle cruellement la vulnérabilité du continent. Et chaque visite ministérielle ressemble un peu à une quête de réassurance.

À retenir : L’Allemagne représente à elle seule près de 30 % des importations européennes de terres rares chinoises. Une pénurie prolongée pourrait coûter des dizaines de milliards d’euros et des centaines de milliers d’emplois dans l’industrie automobile et les énergies renouvelables.

Que peut réellement obtenir Berlin lors de cette visite ?

Difficile de prédire l’issue exacte. La Chine sait qu’elle a la main. Elle utilise les terres rares comme levier diplomatique depuis des années – rappelez-vous l’embargo informel contre le Japon en 2010 après l’incident des îles Senkaku. Aujourd’hui, le message est clair : qui veut des terres rares doit se montrer coopératif sur d’autres dossiers.

L’Allemagne, elle, marche sur des œufs. Elle veut des garanties d’approvisionnement stables, mais refuse de paraître supplier. Elle parle « partenariat équitable » tout en préparant en parallèle des mesures de rétorsion possibles au niveau européen.

Entre les deux, un jeu d’équilibriste permanent. Et au milieu, des entreprises qui retiennent leur souffle.

Vers une nouvelle guerre froide… économique ?

Cette visite intervient dans un contexte global tendu. Les États-Unis poussent leurs alliés à découpler ou au moins à « dérisquer ». L’Europe, elle, hésite. Elle ne veut ni suivre Washington aveuglément, ni se retrouver seule face à Pékin.

Le voyage de Johann Wadephul est donc un moment charnière. Il dira beaucoup de choses sur la capacité – ou l’incapacité – de l’Europe à défendre ses intérêts stratégiques sans rompre totalement avec son premier fournisseur de matières critiques.

Une chose est sûre : les terres rares ne sont plus seulement une question technique. Elles sont devenues un enjeu de souveraineté. Et la partie d’échecs ne fait que commencer.

(Article mis à jour le 5 décembre 2025 – suivi en continu)

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