Imaginez-vous réveillé en sursaut par une annonce à la radio : des militaires viennent de déclarer avoir renversé le président de votre pays. Au Bénin, ce scénario a failli devenir réalité ce dimanche. Alors que Patrice Talon achevait son second mandat dans une relative stabilité, un groupe d’officiers a proclamé sa destitution. Les autorités, elles, affirment avoir repris la situation en main dès les premières heures. Mais au-delà du Bénin, c’est tout le continent qui semble pris dans une spirale inquiétante.
Une tentative de plus dans une série interminable
En cinq ans, l’Afrique a connu dix coups d’État réussis ou tentatives sérieuses. Le Bénin, longtemps présenté comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest, rejoint aujourd’hui cette liste peu flatteuse. Si l’opération a été stoppée net, selon les communicants du palais, elle rappelle cruellement que personne n’est à l’abri.
Depuis 2020, les putschs se succèdent à un rythme jamais vu depuis les années post-indépendance. Mali, Guinée, Burkina Faso, Niger, Gabon… La carte politique du continent se redessine à coups de communiqués militaires lus à l’antenne des radios d’État.
Guinée-Bissau : l’élection volée en une nuit
Le 26 novembre dernier, la Guinée-Bissau vivait un véritable cauchemar électoral. À la veille de la proclamation des résultats de la présidentielle, des militaires ont investi les rues de Bissau. Le président sortant Umaro Sissoco Embalo a été renversé, le processus électoral suspendu sine die.
La junte a rapidement nommé le général Horta N’Tam à la tête d’une transition d’un an. Un Conseil national de transition a même été installé. Mais le plus frappant reste l’impossibilité pour la commission électorale de publier les résultats : des hommes armés et cagoulés ont détruit procès-verbaux et matériel le jour même du coup.
Petit pays de deux millions d’habitants, la Guinée-Bissau cumule déjà quatre coups d’État réussis et une multitude de tentatives depuis son indépendance en 1974. L’instabilité y est presque une tradition.
Mali : quand les colonels se succèdent
Au Mali, l’histoire est encore plus édifiante. Le 18 août 2020, cinq colonels renversent le président Ibrahim Boubacar Keïta. Un officier à la retraite est nommé président de transition, un gouvernement civil est formé. Tout semblait rentrer dans l’ordre.
Mais neuf mois plus tard, le 24 mai 2021, les mêmes militaires arrêtent le président et le Premier ministre de transition. Le colonel Assimi Goïta s’autoproclame président. Promesse initiale : rendre le pouvoir aux civils en 2024. Réalité : l’élection est reportée à une date indéterminée.
En juillet 2025, une loi est promulguée accordant au général Goïta un mandat de cinq ans renouvelable… sans passer par les urnes. Pendant ce temps, les groupes jihadistes imposent un blocus sur les carburants, asphyxiant l’économie et fragilisant davantage la junte.
Guinée-Conakry : du putschiste au candidat
Le 5 septembre 2021, le colonel Mamadi Doumbouya renversait le président Alpha Condé, réélu dans des conditions contestées. Promesse solennelle : ne jamais se présenter à une élection. Quatre ans plus tard, le désormais général Doumbouya dépose sa candidature à la présidentielle du 28 décembre prochain.
Le schéma est rodé : arrivée au pouvoir par la force, promesse de transition rapide, puis prolongation indéfinie et finalement légitimation par les urnes. Le colonel devient général, le putschiste devient candidat légitime.
Soudan : quand le coup d’État mène à la guerre civile
Le 25 octobre 2021, le général Abdel Fattah al-Burhane mettait fin à la fragile transition démocratique post-Béchir. Ce qui devait être une « correction de trajectoire » a dégénéré en guerre totale dès avril 2023 avec son ancien allié, le chef paramilitaire Mohamed Hamdane Daglo.
Résultat : des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés, et selon l’ONU, la pire crise humanitaire mondiale en cours. Le Soudan illustre parfaitement le danger ultime de ces coups d’État : quand deux généraux se disputent le pouvoir, c’est tout un pays qui sombre.
Burkina Faso : deux coups en huit mois
Le 24 janvier 2022, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba renversait le président Roch Marc Christian Kaboré, accusé d’incapacité face à la menace jihadiste. Huit mois plus tard, Damiba subissait le même sort. Le capitaine Ibrahim Traoré prenait le pouvoir.
En mai 2024, la junte autorisait Traoré à rester cinq années supplémentaires. Le pays, autrefois relativement épargné, est désormais l’un des plus touchés par les violences extrémistes en Afrique de l’Ouest.
Niger : la transition qui dure
Le 26 juillet 2023, le général Abdourahamane Tiani renversait le président Mohamed Bazoum, pourtant élu démocratiquement. En mars 2025, la junte prolongeait la transition de cinq ans minimum. Le Niger, pays stratégique dans la lutte antidjihadiste au Sahel, reste sous contrôle militaire.
Gabon : la fin de la dynastie Bongo
Le 30 août 2023, moins d’une heure après la proclamation de la réélection contestée d’Ali Bongo, des militaires mettaient fin à 55 ans de règne de la famille Bongo. Le général Brice Oligui Nguema était investi président de transition.
En avril 2025, il était élu avec 94,85 % des voix sous une nouvelle Constitution approuvée par référendum. Le putschiste est devenu président légitime, dans un schéma de plus en plus familier.
Madagascar : quand la génération Z fait trembler le pouvoir
En octobre 2025, une unité militaire se ralliait au mouvement de contestation porté par les jeunes de la génération Z à Madagascar. Le président Andry Rajoelina était renversé. Le colonel Michaël Randrianirina prenait le pouvoir en promettant des élections dans les 18 à 24 mois.
Cet événement marque une nouveauté : pour la première fois, un coup d’État semble porté par une alliance entre jeunesse contestataire et frange de l’armée. Le modèle classique du colonel ambitieux pourrait évoluer.
Onze putschs ou tentatives en cinq ans. Un record depuis les années 1960-1970. Le continent africain traverse une crise démocratique profonde où l’uniforme remplace de plus en plus souvent le bulletin de vote.
Le Bénin, qui avait réussi à éviter cette vague jusqu’à présent, montre que même les démocraties les plus solides de la région sont fragiles. La tentative de ce dimanche, même avortée, pose une question brutale : jusqu’où ira cette contagion militaire ?
Derrière les communiqués triomphants des juntes, une réalité plus sombre se dessine : des transitions qui s’éternisent, des promesses de retour à l’ordre constitutionnel régulièrement repoussées, et parfois des guerres civiles. L’Afrique paie un lourd tribut à cette nouvelle ère d’instabilité où le pouvoir semble revenir systématiquement aux hommes en treillis.
Et pendant que les généraux se succèdent au palais, les populations, elles, continuent d’attendre la paix, la sécurité et le développement promis… souvent en vain.









