Imaginez-vous réveillé par une alerte de défense nationale : des dizaines de navires de guerre sillonnent les mers autour de votre île, sur plus de 3 000 kilomètres. C’est exactement ce qu’a vécu Taïwan ce vendredi. Un déploiement militaire chinois d’une ampleur rarement vue, qui fait craindre le pire dans une région déjà sous haute tension.
Un déploiement naval hors norme autour de Taïwan
Ce n’est pas une simple patrouille. Selon les autorités taïwanaises, la marine chinoise a engagé un grand nombre de bâtiments de combat dans une opération qui s’étend de la mer Jaune, au nord, jusqu’à la mer de Chine méridionale, au sud. Entre les deux, le détroit de Taïwan, les eaux proches des îles Diaoyu et même une percée vers le Pacifique occidental.
Une source sécuritaire taïwanaise, sous couvert d’anonymat, a qualifié ce mouvement de significatif. Le nombre exact de navires n’a pas été révélé, mais l’échelle géographique laisse peu de place au doute : il s’agit d’une démonstration de force massive.
« Cela représente effectivement une menace et a un impact sur l’Indo-Pacifique et l’ensemble de la région »
Karen Kuo, porte-parole de la présidence taïwanaise
Une opération qui dépasse largement le détroit
Habituellement, les exercices chinois se concentrent autour de Taïwan. Cette fois, la zone couverte est colossale. Elle inclut :
- Le sud de la mer Jaune, proche de la péninsule coréenne
- Les abords des îles Diaoyu, revendiquées par Pékin et Tokyo
- Le détroit de Taïwan, point chaud habituel
- La mer de Chine méridionale, théâtre de multiples différends territoriaux
- Une sortie vers le large Pacifique occidental
Cette configuration suggère une capacité de projection de force bien au-delà de la « première chaîne d’îles », objectif stratégique longtemps affiché par l’Armée populaire de libération.
Le silence de Pékin… ou presque
À l’heure où ces lignes sont écrites, aucune annonce officielle n’a été faite par le ministère chinois de la Défense. Le porte-parole des Affaires étrangères, Lin Jian, s’est contenté d’une réponse laconique :
« La marine et les garde-côtes chinois opèrent strictement dans les eaux appropriées, conformément au droit chinois et au droit international »
Il a ajouté que Pékin suivait une « politique défensive » et invité les « parties concernées » à ne pas « surréagir ». Un discours classique, qui ne reconnaît ni ne dément l’ampleur des mouvements observés.
Octobre-décembre : la saison des grands exercices chinois
Le directeur du renseignement taïwanais, Tsai Ming-yen, l’avait annoncé il y a quelques jours : la période automnale est traditionnellement celle des « exercices d’évaluation annuels » de l’armée chinoise. Des manœuvres destinées à tester les unités après une année d’entraînement intensif.
Cette année, cependant, l’échelle semble avoir été revue à la hausse. Est-ce une simple coïncidence de calendrier ou une réponse à des événements récents ? Plusieurs hypothèses circulent à Taipei.
Le contexte régional joue un rôle clé
Le même jour, la Maison Blanche publiait un document stratégique appelant explicitement le Japon et la Corée du Sud à « contribuer davantage » à la défense de Taïwan. Un message qui, même s’il reste dans le cadre de la politique officielle américaine, constitue une pierre dans le jardin chinois.
À cela s’ajoutent les tensions persistantes autour des îles Senkaku/Diaoyu, les différends en mer de Chine méridionale avec les Philippines et le Vietnam, et la montée en puissance des alliances comme le QUAD ou AUKUS.
En résumé, les signaux envoyés sont multiples :
- Renforcement des partenariats anti-chinois
- Discours américain plus offensif sur Taïwan
- Exercices conjoints accrus avec le Japon et les États-Unis
Taïwan reste sur ses gardes mais confiant
Face à cette démonstration, Taipei appelle Pékin à la retenue. Karen Kuo a répété que l’île disposait d’une « maîtrise complète de la situation » et se disait « confiante dans sa capacité à gérer correctement » l’événement.
Sur le terrain, les forces taïwanaises suivent heure par heure les mouvements adverses. Radars, avions de patrouille maritime, frégates : tout est mobilisé pour ne rien laisser passer.
Pourquoi ce déploiement inquiète autant
Au-delà des chiffres, c’est la portée stratégique qui impressionne. En déployant simultanément des moyens dans plusieurs théâtres maritimes, la Chine montre qu’elle peut :
- Menacer plusieurs adversaires potentiels en même temps
- Contrôler les principales routes maritimes d’Asie de l’Est
- Projeter sa puissance bien au-delà de ses côtes
- Tester en conditions réelles la coordination inter-flottes
Une capacité qui, il y a encore dix ans, restait théorique. Aujourd’hui, elle est opérationnelle.
Et maintenant ?
Pour l’instant, aucun incident majeur n’a été signalé. Les navires chinois restent dans les eaux internationales ou dans les zones qu’ils considèrent comme leurs. Mais la tension est palpable.
Chaque jour qui passe sans communiqué officiel de Pékin alimente les spéculations. Simple exercice de routine amplifié ? Message politique avant une échéance importante ? Ou préparation plus inquiétante ?
Une chose est sûre : en cette fin d’année 2025, la mer de Chine n’a jamais aussi bien porté son nom de zone grise. Entre démonstrations de force et appels à la retenue, la région retient son souffle.
Et pendant ce temps, les habitants de Taïwan, comme ceux des pays voisins, continuent de vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Car dans le détroit, chaque manœuvre peut, un jour, basculer dans l’irréparable.









