Dans la Corne de l’Afrique, une région déjà marquée par des décennies de conflits et d’instabilité, une nouvelle tempête géopolitique semble se profiler. Les relations entre l’Érythrée et l’Éthiopie, deux voisins aux liens historiques tumultueux, sont de nouveau sous haute tension. Au cœur du différend : les ambitions de l’Éthiopie, un pays enclavé de 130 millions d’habitants, pour accéder à la mer, et les mises en garde sévères de l’Érythrée, qui voit ces aspirations comme une menace directe à sa souveraineté. Comment en est-on arrivé là, et quelles sont les implications pour la région ?
Un Passé Chargé d’Hostilités
Pour comprendre les tensions actuelles, il faut remonter à l’histoire complexe des deux nations. L’Érythrée a obtenu son indépendance en 1993 après une lutte acharnée contre l’Éthiopie, qui avait annexé le territoire en 1962. Cette indépendance, fruit d’une guerre de trente ans, n’a pas mis fin aux rivalités. Entre 1998 et 2000, un conflit frontalier dévastateur a éclaté, coûtant la vie à des dizaines de milliers de personnes. Ce différend territorial, centré sur la région de Badme, a laissé des cicatrices profondes.
Les relations entre Asmara et Addis-Abeba ont oscillé entre apaisement et hostilité depuis lors. En 2018, un vent d’espoir a soufflé avec la signature d’un accord de paix entre le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed et le président érythréen Issaias Afwerki. Cet accord, salué internationalement, a même valu à Abiy Ahmed le prix Nobel de la paix en 2019. Mais la lune de miel diplomatique a été de courte durée.
Le Conflit du Tigré : Une Alliance Fragile
Entre 2020 et 2022, la région éthiopienne du Tigré, frontalière de l’Érythrée, a été le théâtre d’une guerre sanglante. Ce conflit opposait les forces rebelles tigréennes à l’armée fédérale éthiopienne, soutenue par des troupes érythréennes. Selon une estimation de l’Union africaine, ce conflit aurait causé la mort d’au moins 600 000 personnes, un bilan humain effroyable. Les troupes érythréennes, loin de se retirer après l’accord de paix signé en 2022, sont toujours présentes dans certaines zones du Tigré, alimentant les tensions.
« Avant d’entraîner le peuple éthiopien dans des guerres non désirées, il faut d’abord résoudre les problèmes internes du pays. »
Issaias Afwerki, président de l’Érythrée
Cette intervention militaire a ravivé les méfiances mutuelles. Pour l’Érythrée, l’Éthiopie cherche à utiliser la force pour imposer ses ambitions, notamment en convoitant le port stratégique d’Assab. Pour l’Éthiopie, l’accès à la mer est une question de survie économique, étant donné sa dépendance aux ports voisins pour le commerce international.
L’Accès à la Mer : Une Question Explosive
L’Éthiopie, avec sa population de 130 millions d’habitants, est l’un des plus grands pays enclavés au monde. Depuis la perte de l’Érythrée, elle dépend principalement du port de Djibouti pour ses importations et exportations. Cette situation est un frein économique majeur, et Addis-Abeba a multiplié les initiatives pour sécuriser un accès direct à la mer. Le port érythréen d’Assab, situé sur la mer Rouge, est perçu comme une opportunité stratégique.
Mais pour l’Érythrée, toute tentative de contrôle sur ses côtes est une ligne rouge. Issaias Afwerki a qualifié ces ambitions d’« irréfléchies », avertissant que son pays ne se laisserait pas intimider par des tactiques de supériorité numérique. Dans une allocution récente, il a déclaré que l’Éthiopie se trompait lourdement si elle pensait pouvoir submerger les forces érythréennes par une offensive massive.
L’Érythrée, un pays de seulement 6 millions d’habitants, dispose d’une armée aguerrie, mais ses ressources sont limitées face à un géant démographique comme l’Éthiopie. Pourtant, Asmara mise sur sa résilience et son isolement stratégique pour dissuader toute agression.
L’Érythrée : Une Forteresse Isolée
L’Érythrée est souvent comparée à la Corée du Nord de l’Afrique en raison de son isolement et de son régime autoritaire. Depuis son indépendance, le pays est dirigé d’une main de fer par Issaias Afwerki, sans élections ni recensement national. Classée 180e sur 180 pour la liberté de la presse en 2025 par Reporters sans frontières, et 175e sur 183 pour le développement humain en 2022 selon l’ONU, l’Érythrée reste un mystère pour beaucoup.
Cet isolement, cependant, n’a pas empêché Asmara de renforcer son appareil militaire. Depuis la levée de l’embargo sur les armes par l’ONU en 2018, accusé à l’époque de soutenir des groupes jihadistes en Somalie, l’Érythrée aurait entrepris de moderniser son armée. Ces efforts, selon certains observateurs, visent à contrer toute menace extérieure, notamment de la part de son puissant voisin éthiopien.
Les Enjeux Régionaux et Internationaux
La Corne de l’Afrique est une région stratégique, située à la croisée des routes commerciales de la mer Rouge. Un conflit entre l’Érythrée et l’Éthiopie pourrait avoir des répercussions bien au-delà de leurs frontières. Voici quelques enjeux clés :
- Stabilité régionale : Une guerre ouverte déstabiliserait davantage une région déjà fragilisée par les conflits en Somalie et au Soudan.
- Commerce maritime : La mer Rouge est une artère vitale pour le commerce mondial. Toute perturbation pourrait affecter les chaînes d’approvisionnement.
- Implication internationale : Les puissances étrangères, comme la Chine ou les États-Unis, surveillent de près la région en raison de ses bases militaires et de ses ressources.
En outre, les accusations portées par certaines ONG, selon lesquelles l’Érythrée continuerait de déstabiliser ses voisins, compliquent davantage le tableau. Asmara rejette ces allégations, les qualifiant de fabrications destinées à ternir son image.
Vers une Nouvelle Guerre ?
Les déclarations belliqueuses d’Issaias Afwerki et les ambitions maritimes d’Abiy Ahmed laissent craindre une escalade. Pourtant, les deux pays ont tout à perdre dans un conflit. L’Éthiopie, déjà fragilisée par des tensions internes, ne peut se permettre une guerre coûteuse. L’Érythrée, de son côté, risque l’isolement international en cas d’agression.
Pour éviter une nouvelle tragédie, la communauté internationale, notamment l’Union africaine, devra jouer un rôle de médiateur. Mais la méfiance mutuelle et les enjeux stratégiques rendent la tâche ardue. La question reste ouverte : la Corne de l’Afrique peut-elle échapper à une nouvelle spirale de violence ?
Pays | Population | Enjeux |
---|---|---|
Érythrée | ~6 millions | Protéger sa souveraineté et ses ports |
Éthiopie | ~130 millions | Accéder à la mer pour le commerce |
En conclusion, la Corne de l’Afrique se trouve à un carrefour critique. Les tensions entre l’Érythrée et l’Éthiopie, alimentées par des rivalités historiques et des enjeux économiques, menacent de plonger la région dans une nouvelle crise. Seule une diplomatie habile et un engagement régional fort pourraient désamorcer cette bombe à retardement. Mais dans une région où la méfiance règne, l’espoir d’une paix durable reste fragile.