Depuis plusieurs mois, le secteur aurifère malien est sous haute tension. Les relations se dégradent entre la junte militaire au pouvoir et les compagnies minières étrangères, comme en témoigne un nouvel épisode impliquant le géant canadien Barrick Gold. Quatre de ses employés maliens ont été arrêtés et inculpés, révélant des litiges croissants et des enjeux économiques et politiques majeurs.
Barrick Gold contestent les charges, les autorités maliennes durcissent le ton
Selon un communiqué de Barrick Gold, qui détient 80% du complexe aurifère de Loulo-Gounkoto, l’un des plus importants au monde, quatre de ses employés maliens ont été inculpés et placés en détention. Si la compagnie dit contester les charges sans préciser leur nature, elle avait déjà dû faire face à l’arrestation de quatre autres employés en septembre dernier pour des motifs non divulgués.
À l’époque, ils avaient été relâchés au bout de plusieurs jours, Barrick Gold évoquant une « solution globale » trouvée avec l’État malien sur des litiges. Mais les ministères des Mines et de l’Économie sont ensuite montés au créneau, accusant la société de manquements à ses engagements et agitant des « risques sérieux » pour son avenir dans le pays. Le bras de fer semble donc s’intensifier.
Lutte affichée contre la corruption et pour la souveraineté sur les ressources
Depuis leur prise de pouvoir par la force en 2020, les militaires de la junte malienne ont fait de la lutte contre la corruption et de la restauration de la souveraineté nationale sur les ressources naturelles leurs chevaux de bataille. Une attention toute particulière est portée aux revenus générés par l’industrie minière, stratégiques pour ce pays parmi les plus pauvres du monde.
L’or contribue ainsi à hauteur d’un quart au budget national et représente trois quarts des recettes d’exportation du Mali, qui figure parmi les premiers producteurs africains du précieux métal. Les pressions accrues sur les compagnies étrangères coïncident également avec un pivot stratégique de la junte en direction de la Russie.
Resolute Mining également dans le viseur en novembre
Barrick Gold n’est pas la seule société minière étrangère à subir les foudres des autorités maliennes. En novembre dernier, c’est l’australien Resolute Mining qui a vu son directeur général et deux employés britanniques arrêtés, alors qu’ils pensaient venir à Bamako pour des négociations. Leur libération au bout de plusieurs jours s’est faite contre l’engagement de l’entreprise à verser 160 millions de dollars à l’État malien.
Barrick déterminée à trouver un accord malgré l’impasse actuelle
Malgré ce contexte tendu, Barrick Gold dit s’employer « activement à finaliser un protocole d’accord » avec le gouvernement, notamment sur le partage des bénéfices économiques générés par son complexe aurifère. Mais l’entreprise reconnaît que les tentatives pour trouver une « solution mutuellement acceptable » n’ont pas encore abouti.
Elle se dit néanmoins « déterminée à échanger avec le gouvernement afin de répondre à toutes les réclamations formulées » et « d’obtenir la libération rapide de [ses] collègues injustement emprisonnés ». Un épilogue qui demeure incertain à ce stade, tant le rapport de force initié par les autorités maliennes semble destiné à redistribuer les cartes de ce juteux secteur.
Le Mali veut reprendre la main sur ses ressources aurifères, quitte à faire pression sur les investisseurs étrangers.
Fousseni Traoré, chercheur senior à la Fondation canadienne pour la défense et la sécurité en Afrique.
Les enjeux sont en effet considérables. Le contrôle des revenus miniers apparaît à la fois comme un levier économique vital dans un pays profondément instable, et comme un symbole de souveraineté pour un pouvoir militaire qui entend restaurer la fierté nationale. Quitte à faire fuir certains opérateurs historiques comme Barrick Gold ?
Cette crise est en tout cas révélatrice des rapports de force qui se jouent en Afrique autour des immenses richesses naturelles, avec des États qui veulent reprendre la main, souvent par la manière forte, face à des intérêts privés étrangers longtemps dominants. Et le Mali semble vouloir donner le ton d’une reconquête des ressources stratégiques.
Une chose est sûre : le sort des employés maliens de Barrick Gold sera scruté de près, tout comme l’évolution des relations entre les autorités et les investisseurs miniers. Car au-delà de ce dossier brûlant, c’est tout un modèle économique de dépendance qui est remis en cause. Le nouveau « Mali d’abord » fera-t-il aussi des étincelles dans les cours de l’or ?
Un article de notre correspondant au Mali