Imaginez dormir sous une toile fine alors que le ciel vous tombe dessus toute la nuit. Imaginez vos enfants pieds nus dans la boue glacée, les matelas gorgés d’eau, et nulle part où aller. À Gaza, ce n’est pas une hypothèse : c’est la réalité brutale que vivent des centaines de milliers de déplacés depuis l’arrivée de la tempête Byron.
Quand la pluie devient une nouvelle arme
Dès la nuit de mercredi, le territoire palestinien a été balayé par des pluies d’une violence rare. Les vents puissants et les trombes d’eau ont transformé les campements de fortune en lacs de boue. Dans le quartier de Zeitoun à Gaza-ville, des familles creusent encore, pelle à la main, des tranchées dérisoires autour de leurs tentes pour tenter – en vain – d’écouler l’eau.
Le spectacle est apocalyptique : un océan de bâches bleues et blanches flotte sur un sol devenu marécage. Les auvents dégoulinent, les enfants mangent accroupis sur des briques pour éviter la gadoue, et le ciel, lourd de nuages noirs, semble ne jamais vouloir se calmer.
« La nuit dernière a été terrible »
À al-Zawaida, au centre de la bande de Gaza, Souad Mouslim n’arrive plus à retenir ses larmes quand elle raconte la nuit passée.
« Les enfants ont été trempés, les couvertures, les matelas… Nous ne savions pas où aller. Donnez-nous une tente décente, des couvertures pour nos enfants, des vêtements, je le jure, ils ont les pieds nus, ils n’ont pas de chaussures. Jusqu’à quand allons-nous rester comme ça ? C’est injuste. »
Souad Mouslim, déplacée sous tente à al-Zawaida
Sa voix doit lutter contre le bruit incessant des gouttes qui martèlent la toile. Autour d’elle, des mares obligent les habitants à sauter de monticule en monticule ou à marcher dans une eau stagnante qui monte jusqu’aux chevilles.
850 000 personnes menacées par les inondations
Selon l’ONU, pas moins de 761 sites abritant environ 850 000 déplacés présentent un risque élevé d’inondation. Un chiffre vertigineux. Et pourtant, chaque année, l’hiver apporte son lot de fortes pluies à Gaza. Mais jamais le territoire n’avait été aussi vulnérable.
Les bombardements ont détruit les réseaux d’évacuation des eaux usées et pluviales. Les routes éventrées, les bâtiments effondrés, le bitume arraché : rien n’absorbe plus l’eau. La moindre averse se transforme en catastrophe.
Conséquences directes de la tempête Byron :
- Des centaines de tentes inondées ou emportées
- Matelas, couvertures et vêtements trempés
- Impossibilité de faire du feu (pas de bois, pas de gaz)
- Enfants pieds nus dans le froid et la boue
- Au moins une personne tuée par l’effondrement d’un mur
- Trois maisons partiellement effondrées
Un porte-parole de la Défense civile tire la sonnette d’alarme
Mahmoud Bassal, porte-parole de la Défense civile à Gaza, ne mâche pas ses mots.
« La situation est désespérée. Les tentes, c’est inacceptable. Ce qu’il faut maintenant, ce sont des abris mobiles équipés de panneaux solaires, avec deux pièces, une salle de bain et toutes les installations nécessaires. Seulement à ce moment-là, la reconstruction pourra commencer. »
Mahmoud Bassal
Ses équipes ont dû intervenir en urgence après l’effondrement partiel de plusieurs habitations fragilisées par les bombardements précédents. Il met en garde les familles qui continuent d’occuper des immeubles endommagés : le moindre mur peut s’écrouler sous le poids de l’eau.
Le froid, ennemi invisible
Au-delà de l’eau, c’est le froid qui ronge. Les températures descendent la nuit. Les vêtements sont humides en permanence. Les enfants toussent. Impossible d’allumer un feu : il n’y a ni bois sec ni bonbonne de gaz. Chourouk Mouslim, originaire de Beit Lahia et réfugiée à al-Zawaida, résume :
« Nous ne pouvons même pas sortir pour allumer un feu. De toute façon, on n’a rien pour cuire ou se réchauffer. »
Dans certains camps, les plus chanceux ont réussi à poser des briques au sol ou à tendre des bâches supplémentaires. Mais pour la majorité, le sable humide colle aux affaires, aux corps, à l’espoir.
Une aide humanitaire toujours insuffisante
Malgré la trêve entrée en vigueur le 10 octobre, les frontières restent fermées et les camions d’aide arrivent au compte-gouttes. L’ONU répète que les quantités sont largement insuffisantes face à l’ampleur des besoins.
Des tentes plus résistantes, des couvertures imperméables, des bottes, des vêtements chauds : tout manque. Et l’hiver ne fait que commencer. Les prévisionnistes annoncent d’autres épisodes pluvieux dans les prochains jours.
Une reconstruction qui semble encore loin
Dans certains secteurs, des bulldozers continuent de déblayer les montagnes de gravats. Mais la plupart des habitants restent debout à l’entrée de leurs abris, refusant de s’asseoir sur des surfaces détrempées. La reconstruction massive paraît hors de portée tant que les besoins les plus élémentaires ne sont pas satisfaits.
Les experts sont unanimes : sans abris décents et étanches, aucune reconstruction durable n’est possible. Et chaque tempête repousse un peu plus l’échéance.
Sur le terrain, la résilience des habitants force l’admiration. Mais derrière les sourires fatigués et les gestes de solidarité, la question revient sans cesse : jusqu’à quand ?
Dans la boue de Zeitoun ou d’al-Zawaida, sous des cieux qui refusent de s’apaiser, des centaines de milliers de personnes attendent un signe, une aide massive, un abri digne de ce nom. L’hiver, lui, continue son œuvre, implacable.
Et demain, quand la prochaine tempête arrivera, que restera-t-il de ces fragiles remparts de toile face à la colère du ciel ?









