Comment un pays peut-il basculer dans une nouvelle ère politique en un seul vote ? Au Tchad, une réforme constitutionnelle adoptée vendredi dernier redessine les contours du pouvoir, prolongeant le mandat présidentiel à sept ans, renouvelable sans limite. Cette décision, portée par le parti au pouvoir, suscite une vague d’indignation au sein de l’opposition, qui y voit une dérive autoritaire. Plongeons dans les détails de cette transformation politique majeure, ses origines, ses implications et les voix qui s’élèvent pour la contester.
Une Réforme qui Redéfinit le Pouvoir
En moins de deux ans, le Tchad a franchi une étape décisive dans la consolidation de son système politique. Après l’adoption d’une nouvelle Constitution par référendum en décembre 2023, le Parlement tchadien, composé de députés et de sénateurs, a voté à une écrasante majorité une révision constitutionnelle. Cette réforme, approuvée par 236 voix sur 257, instaure un mandat présidentiel de sept ans, renouvelable sans restriction. Une mesure qui, selon ses détracteurs, pave la voie à une présidence à vie pour le chef de l’État actuel, Mahamat Idriss Déby Itno.
Ce changement intervient dans un contexte politique déjà tendu. En avril 2021, Mahamat Déby, alors général, avait été proclamé président de transition par l’armée à la suite du décès tragique de son père, Idriss Déby Itno, au pouvoir pendant trois décennies. Élu en mai 2024 lors d’un scrutin controversé, Mahamat Déby devait initialement exercer un mandat de cinq ans. Cette réforme, portée par son parti, le Mouvement patriotique du salut (MPS), semble désormais garantir une emprise durable sur le pouvoir.
Les Nouvelles Dispositions de la Réforme
Outre l’allongement du mandat présidentiel, la révision constitutionnelle introduit plusieurs modifications majeures :
- Création d’un poste de Vice-premier ministre : Une nouvelle fonction exécutive, dont les contours restent à préciser.
- Prolongation du mandat des députés : Les parlementaires voient leur mandat passer de cinq à six ans.
- Restauration de l’immunité des ministres : Une disposition initialement supprimée dans le projet, mais réintroduite dans le texte final.
- Levée de l’incompatibilité entre fonctions présidentielles et activités partisanes : Mahamat Déby, président du MPS depuis janvier 2025, peut désormais cumuler ses rôles de chef d’État et de leader politique.
Ces changements, bien que techniques, redessinent les équilibres du pouvoir. Ils renforcent la mainmise du président et de son parti sur les institutions, tout en limitant les garde-fous démocratiques. Mais ce qui cristallise surtout les tensions, c’est l’absence de limite au renouvellement du mandat présidentiel, perçue comme une menace directe à l’alternance politique.
L’Opposition Dénonce une Dérive Autoritaire
La réforme n’a pas fait l’unanimité. L’opposition, bien que marginalisée, a vivement réagi. Max Kemkoye, porte-parole du Groupe de concertation des acteurs politiques (GCAP), a qualifié la révision de « scandaleuse ».
Les résolutions d’un parti sont devenues des lois de la République. Il n’y a plus de différence entre le MPS et la République.
Max Kemkoye, porte-parole du GCAP
Les parlementaires du Rassemblement national des démocrates tchadiens-Le Réveil (RNDT), dirigé par l’ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké, ont marqué leur opposition en quittant la salle avant le vote. Dans une lettre adressée aux parlementaires, ce dernier a dénoncé une réforme « inconstitutionnelle et autoritaire ». L’opposition craint que ces changements ne servent qu’à pérenniser le pouvoir de Mahamat Déby, déjà accusé d’avoir orchestré un « second coup d’État » lors du référendum de 2023.
Un point particulièrement controversé est la possibilité, prévue par un nouvel article, de suspendre les élections en invoquant un « cas de force majeure ». Pour Max Kemkoye, cette disposition ouvre la porte à des abus :
Cette Constitution donne deux ans de cadeau à Mahamat Idriss Déby Itno.
Max Kemkoye, via une publication sur les réseaux sociaux
Cette accusation reflète le sentiment d’une partie de l’opposition, qui voit dans cette réforme une tentative de verrouiller le système politique au profit du président et de son entourage.
Un Contexte Électoral Contesté
Le Tchad traverse une période de bouleversements politiques depuis la mort d’Idriss Déby Itno en 2021. Les élections législatives et sénatoriales de janvier et février 2025, les premières depuis 2015, ont été largement dominées par le MPS. Cependant, ces scrutins ont été marqués par des accusations de fraudes et un boycott massif de l’opposition, notamment du parti Les Transformateurs, dirigé par Succès Masra.
Les Transformateurs ont qualifié le processus électoral de « ni libre, ni crédible », dénonçant des « résultats préfabriqués ». Succès Masra, figure de l’opposition, a lui-même été condamné à vingt ans de prison en août 2025, accusé d’être responsable d’un massacre dans la région du Logone-Occidental, où 42 personnes, principalement des femmes et des enfants, ont perdu la vie. Cette condamnation, perçue comme politiquement motivée par ses partisans, illustre la répression croissante des voix dissidentes.
Événement | Date | Impact |
---|---|---|
Mort d’Idriss Déby Itno | Avril 2021 | Transition militaire, Mahamat Déby proclamé président |
Référendum constitutionnel | Décembre 2023 | Adoption de la nouvelle Constitution |
Élection présidentielle | Mai 2024 | Mahamat Déby élu, scrutin contesté |
Révision constitutionnelle | Octobre 2025 | Mandat présidentiel de 7 ans, renouvelable sans limite |
Les Enjeux pour l’Avenir du Tchad
Cette réforme soulève des questions fondamentales sur l’avenir de la démocratie au Tchad. En renforçant les pouvoirs du président et de son parti, elle risque d’accentuer la marginalisation de l’opposition et de décourager la participation citoyenne. La levée de l’incompatibilité entre fonctions présidentielles et activités partisanes pourrait également brouiller les lignes entre l’État et le MPS, transformant les institutions en outils au service d’un seul homme.
Pourtant, le Tchad fait face à des défis bien plus larges : insécurité, pauvreté, tensions ethniques et instabilité régionale. La concentration du pouvoir entre les mains d’un seul dirigeant pourrait-elle compromettre la capacité du pays à répondre à ces enjeux ? L’opposition, bien que fragilisée, appelle à une mobilisation pour préserver les acquis démocratiques. Mais face à un pouvoir solidement ancré, ses chances de succès semblent minces.
Une Société Civile sous Pression
La société civile tchadienne, déjà sous pression, doit composer avec un climat politique de plus en plus hostile. Les arrestations de leaders d’opposition, comme celle de Succès Masra, et les accusations portées contre eux alimentent un sentiment d’injustice. Les appels au boycott des élections, bien que suivis par une partie de la population, n’ont pas suffi à inverser la tendance. La question demeure : comment les citoyens tchadiens peuvent-ils faire entendre leur voix dans un système qui semble se refermer sur lui-même ?
Pour l’heure, la communauté internationale observe avec prudence. Si certains partenaires du Tchad, comme la France, ont historiquement soutenu le régime Déby, la multiplication des dérives autoritaires pourrait compliquer ces relations. Les organisations de défense des droits humains, quant à elles, appellent à une vigilance accrue face à l’érosion des libertés fondamentales.
Vers un Tchad à l’Épreuve du Pouvoir
La réforme constitutionnelle adoptée au Tchad marque un tournant. En prolongeant le mandat présidentiel et en renforçant les prérogatives du chef de l’État, elle consacre un système où l’alternance politique semble de plus en plus hypothétique. Pourtant, les voix de l’opposition, bien que muselées, continuent de résonner, portées par des figures comme Max Kemkoye ou Albert Pahimi Padacké.
Le Tchad se trouve à un carrefour. Entre consolidation du pouvoir et aspirations démocratiques, le pays doit naviguer dans un contexte où chaque décision politique peut avoir des répercussions durables. La question reste en suspens : cette réforme sera-t-elle le prélude à une stabilité autoritaire ou le déclencheur d’une résistance accrue ? L’avenir du Tchad, et de ses citoyens, en dépend.