En ce samedi matin, les kiosques à journaux de Ndjamena affichent une mine bien terne. Les principaux médias en ligne du pays ont décidé de se mettre en retrait, le temps d’une journée symbolique baptisée « journée sans presse ». Un silence assourdissant, en opposition frontale à une décision controversée de la Haute Autorité des Médias et de l’Audiovisuel (HAMA). L’institution a en effet pris le parti d’interdire purement et simplement aux médias en ligne la diffusion et la production de contenus audiovisuels, à moins d’obtenir une autorisation spécifique. Un véritable coup de massue pour la liberté de la presse selon les principaux intéressés.
Ce bras de fer intervient dans un contexte particulièrement tendu. Ce samedi marque en effet le coup d’envoi officiel de la campagne pour les élections communales et législatives, prévues le 29 décembre prochain. Un scrutin d’ores et déjà sous haute tension, boycotté par les principaux partis d’opposition qui dénoncent un processus joué d’avance. Des élections qui cristallisent les crispations entre un pouvoir qui verrouille l’espace médiatique et une presse indépendante qui refuse de se laisser museler.
Une décision « illégale et arbitraire » pour les médias en ligne
L’Association de médias électroniques du Tchad (AMET) est montée au créneau dès l’annonce de la mesure liberticide. Pour elle, interdire ainsi la production de contenus audiovisuels aux pure players est tout simplement « illégal et arbitraire » :
Les lois régissant les médias en ligne au Tchad ne contiennent aucune disposition interdisant la production de contenus audiovisuels.
– AMET (Association de médias électroniques du Tchad)
Cette « journée sans presse » vise donc à envoyer un message fort selon Bello Bakary Mana, le président de l’AMET. L’objectif est « d’alerter l’opinion nationale et internationale sur la gravité de la situation ». Un véritable cri d’alarme pour la liberté de la presse, dans un pays classé à la peu enviable 123ème place du classement de Reporters sans frontières.
Des élections sous tension sur fond de verrouillage médiatique
Le timing de ce coup de force ne doit rien au hasard. À quelques semaines d’un scrutin crucial, le pouvoir tchadien semble bien décidé à contrôler étroitement le récit médiatique. Reporters, plateaux TV, interviews… Hors de question de laisser le champ libre à une parole potentiellement critique ou dissidente.
Pourtant, ces élections législatives et communales se font attendre depuis des années au Tchad. Initialement prévues en 2015, elles ont fait l’objet de reports successifs, sur fond de menace jihadiste, de difficultés financières ou encore de pandémie de Covid-19. Le dernier report en date faisait suite au putsch militaire ayant porté au pouvoir le général Mahamat Idriss Déby Itno en avril 2021, après la mort de son père Idriss Déby Itno au combat.
Malgré un appel du chef de l’État à « participer activement » au vote, l’opposition continue de boycotter ce qu’elle considère comme une mascarade électorale. Pour ces partis, ce scrutin va simplement « légaliser la fraude et la suspension des libertés publiques et politiques ». Un dialogue de sourds sur fond de graves atteintes au droit d’informer.
La presse comme ultime bastion de résistance démocratique ?
Dans ce contexte difficile, cette « journée sans presse » marque une nouvelle étape dans le bras de fer qui oppose les médias tchadiens au pouvoir en place. Une confrontation qui semble partie pour durer, tant les positions apparaissent irréconciliables à ce stade.
D’un côté, un exécutif qui verrouille méthodiquement l’espace médiatique et muselle les voix discordantes à l’approche d’un scrutin à haut risque. De l’autre, des médias en ligne déterminés à faire front commun pour défendre pied à pied leur indépendance et la liberté d’informer.
Dans un paysage démocratique de plus en plus fragilisé, où l’opposition est réduite à portion congrue, la presse apparaît plus que jamais comme le dernier contre-pouvoir capable de faire entendre une voix critique. Un rôle à haut risque mais essentiel, afin que les citoyens tchadiens puissent se forger une opinion éclairée et faire un choix libre le jour du scrutin.
Reste à savoir si cette mobilisation sans précédent suffira à infléchir la position du pouvoir. Une chose est sûre : les prochaines semaines s’annoncent décisives pour l’avenir de la démocratie et de la liberté d’expression au Tchad. Et les médias en ligne entendent bien peser de tout leur poids dans cette bataille.