En mars 2021, une femme au visage calme et au foulard coloré prête serment en tant que première présidente de la Tanzanie. Samia Suluhu Hassan, alors peu connue du grand public, semblait incarner l’espoir d’un renouveau après des années de gouvernance autoritaire. Mais quatre ans plus tard, son image s’est ternie : accusée de répression brutale contre l’opposition, elle soulève des questions brûlantes sur la démocratie en Tanzanie. Comment cette politicienne discrète, issue d’une famille modeste de Zanzibar, est-elle devenue le centre d’une tempête politique ?
De l’Ombre à la Lumière : l’Ascension de Samia Suluhu Hassan
Samia Suluhu Hassan n’était pas destinée à occuper le devant de la scène. Née en 1960 à Zanzibar, dans une famille où son père était instituteur et sa mère femme au foyer, elle a grandi dans un environnement modeste. Son parcours académique l’a menée jusqu’aux États-Unis, où elle a obtenu un master en développement économique communautaire. Ce diplôme, combiné à son expérience administrative à Zanzibar, a jeté les bases d’une carrière au service du développement.
Avant de plonger dans la politique, Samia Suluhu a travaillé pour le Programme alimentaire mondial des Nations unies, puis a dirigé une association d’ONG à Zanzibar. Ces expériences ont forgé sa réputation de femme compétente et posée, loin des projecteurs. Mais en 2000, tout change lorsqu’elle intègre le Parlement de Zanzibar sous la bannière du Chama Cha Mapinduzi (CCM), le parti au pouvoir depuis l’indépendance de la Tanzanie.
Une Carrière Politique en Accélération
La trajectoire de Samia Suluhu Hassan est marquée par une ascension méthodique. Entre 2000 et 2010, elle occupe plusieurs postes ministériels à Zanzibar, notamment aux Femmes et Jeunesse, puis au Tourisme et Commerce. En 2014, elle devient ministre des Affaires de l’Union au niveau national, sous la présidence de Jakaya Kikwete. Cette nomination la place au cœur du pouvoir tanzanien, où elle se distingue par son calme et son pragmatisme.
En 2015, un tournant décisif : elle est choisie comme colistière de John Magufuli, un président connu pour son style autoritaire. Ce duo marque l’histoire, faisant d’elle la première femme vice-présidente de Tanzanie. Leur réélection en 2020, bien que contestée pour des irrégularités, consolide sa position. Mais c’est la mort soudaine de Magufuli en 2021 qui la propulse à la tête du pays.
« Moi, Samia Suluhu Hassan, promets d’être honnête et de protéger la Constitution tanzanienne. »
Samia Suluhu Hassan, prestation de serment, mars 2021
Un Début Prometteur, Puis des Doutes
Lorsqu’elle prend les rênes, Samia Suluhu Hassan est perçue comme une bouffée d’air frais. Elle assouplit certaines restrictions imposées par Magufuli, notamment sur la presse et les libertés politiques. Des opposants exilés, comme Tundu Lissu, leader du parti Chadema, rentrent au pays. Ce geste est salué comme un signe d’ouverture. Mais rapidement, les espoirs s’effritent.
À l’approche des élections de 2025, les critiques s’intensifient. Des rapports d’organisations internationales dénoncent une vague de répression. Les principaux candidats de l’opposition sont soit emprisonnés, soit exclus du scrutin. Tundu Lissu, arrêté pour trahison, risque la peine de mort. Un autre cadre de Chadema, Ali Mohamed Kibao, a été retrouvé mort en septembre 2024, son corps portant des traces de violence. Ces événements jettent une ombre sur la présidence de Samia Suluhu.
Les accusations de répression s’accumulent :
- Arrestations arbitraires de leaders de l’opposition.
- Disparitions inexpliquées de militants.
- Exclusion du parti Chadema des élections pour des raisons controversées.
Une Femme au Pouvoir dans une Société Patriarcale
Samia Suluhu Hassan dirige un pays où les normes patriarcales restent profondément ancrées. Selon un ancien conseiller, elle a dû adopter une ligne dure pour asseoir son autorité. « Elle savait qu’elle héritait d’un gouvernement misogyne, qui ne lui faisait pas confiance », confie-t-il. Cette pression l’a poussée à consolider son pouvoir à tout prix, même au détriment des libertés.
Sous Magufuli, elle était reléguée à un rôle symbolique, souvent perçue comme un faire-valoir. Une fois présidente, elle a affronté l’hostilité des proches de son prédécesseur au sein du CCM. Cette lutte interne, combinée à la nécessité de s’imposer, explique peut-être son virage autoritaire.
« J’ai peut-être l’air polie, mais l’important est que tout le monde comprenne ce que je dis et que les choses soient faites comme je le dis. »
Samia Suluhu Hassan, 2020
Les Élections de 2025 : un Scrutin sous Tension
Les élections législatives et présidentielles de 2025 sont un test crucial pour Samia Suluhu Hassan. Pour garantir une victoire éclatante, elle a écarté les principaux obstacles. Le parti Chadema, principal rival du CCM, a été exclu pour avoir refusé de signer un Code de conduite électoral qu’il jugeait biaisé. Cette décision, combinée aux arrestations, a suscité l’indignation.
Un rapport récent d’une organisation de défense des droits humains décrit une « vague de terreur » en Tanzanie. Les violations incluent :
- Arrestations de militants sans motifs clairs.
- Intimidations contre les médias indépendants.
- Violences physiques contre des opposants.
Ces accusations contrastent avec l’image initiale de « Mama », surnom affectueux donné par ses partisans. Pour beaucoup, elle est passée d’une figure d’espoir à une dirigeante prête à tout pour conserver le pouvoir.
Zanzibar : les Racines d’une Leader
Le lien de Samia Suluhu Hassan avec Zanzibar est central dans son identité. Cette île semi-autonome, où elle a grandi et débuté sa carrière, a façonné sa vision du développement. Son expérience au sein du gouvernement local et des ONG lui a donné une compréhension fine des enjeux communautaires. Pourtant, même à Zanzibar, les tensions politiques sont palpables, et son passé de ministre n’a pas empêché les critiques.
En tant que musulmane pratiquante, elle porte toujours un foulard, un symbole de son ancrage culturel. Mais ce choix, souvent perçu comme un signe de modestie, contraste avec les accusations de brutalité politique. Cette dualité fascine : comment une femme au parcours aussi terre-à-terre a-t-elle pu orchestrer une répression aussi sévère ?
Un Héritage Controversé
À 65 ans, Samia Suluhu Hassan est à un tournant. Son mandat, initialement marqué par des promesses de justice et d’ouverture, est aujourd’hui entaché par des accusations graves. La répression de l’opposition, les irrégularités électorales et les violations des droits humains pèsent lourd sur son bilan.
Pourtant, certains défendent son action, arguant qu’elle navigue dans un contexte politique hostile. Dans une société où les femmes leaders sont rares, elle doit jongler avec des attentes contradictoires : être ferme sans être perçue comme agressive, réformer sans déstabiliser le système.
| Événement | Impact |
|---|---|
| Mort de John Magufuli (2021) | Accession de Samia Suluhu à la présidence |
| Retour d’opposants exilés | Signe d’ouverture initiale |
| Arrestation de Tundu Lissu (2024) | Accusations de répression |
Quel Avenir pour la Tanzanie ?
Alors que les élections de 2025 approchent, la Tanzanie est à la croisée des chemins. Samia Suluhu Hassan peut-elle redorer son image et restaurer la confiance ? Ou son mandat sera-t-il défini par la répression et l’exclusion ? Les observateurs internationaux scrutent chaque mouvement, tandis que les Tanzaniens attendent des réponses.
Pour l’instant, l’histoire de Samia Suluhu Hassan reste celle d’une femme qui a brisé des barrières, mais dont les choix divisent. Entre espoir déçu et pragmatisme politique, elle incarne les contradictions d’un pays en quête de stabilité et de démocratie.









