Imaginez une capitale africaine de plus de six millions d’habitants où, un matin, il n’y a plus personne dans les rues. Pas un taxi, pas un marchand ambulant, pas même un chien errant. Seuls des uniformes, des barrages et un silence pesant. C’est exactement ce qu’ont vécu les rares habitants qui ont osaient sortir ce mardi 9 décembre à Dar es Salaam.
Une fête de l’indépendance transformée en journée de siège
Le 9 décembre marque normalement le jour de l’indépendance de la Tanzanie. Parades, danses, discours patriotiques… Tout cela appartient au passé. Cette année, le gouvernement a tout simplement annulé les célébrations officielles. Puis interdit toute manifestation. Enfin, le Premier ministre a invité la population à « se reposer » chez elle. Message reçu cinq sur cinq.
Le résultat ? Une ville fantôme. Les correspondants sur place racontent avoir été contrôlés sept fois en une demi-heure. Les grands axes, comme Obama Drive qui longe l’océan Indien, sont fermés. Les transports en commun ont disparu. Les boutiques restent barricadées. Même les piétons se comptent sur les doigts d’une main.
Un traumatisme encore à vif après le massacre d’octobre
Pour comprendre cette paralysie, il faut remonter au 29 octobre dernier. Ce jour-là, des élections législatives et présidentielle ont été organisées. Très vite, les observateurs internationaux ont dénoncé des fraudes massives. La présidente sortante, Samia Suluhu Hassan, a été réélue avec un score invraisemblable de près de 98 % des voix.
La colère a explosé dans tout le pays. Des manifestations monstres ont éclaté, surtout à Dar es Salaam mais aussi dans d’autres grandes villes. La réponse du pouvoir a été d’une violence inouïe. Selon l’opposition et les organisations de défense des droits humains, plus de 1 000 personnes ont été tuées en quelques jours. Des chiffres que le gouvernement refuse toujours de commenter.
« Le gouvernement tanzanien s’appuie sur le climat alarmant de peur qui régnait avant les élections pour dissuader de nouvelles manifestations »
Oryem Nyeko, chercheur à Human Rights Watch
Une stratégie de la peur parfaitement rodée
Dès le soir du scrutin, internet a été coupé pendant cinq jours complets. Impossible de partager la moindre image ou vidéo des exactions. Les rares photos qui ont filtré montrent des corps dans les rues, des blindés tirant à balles réelles, des jeunes gens abattus à bout portant.
Ensuite, les autorités ont menacé directement la population : toute personne publiant des preuves des massacres risquait la prison, voire pire. Résultat : un black-out presque total. Seuls quelques militants courageux et cadres de l’opposition ont bravé l’interdit.
En novembre et décembre, des dizaines d’internautes ont été arrêtés simplement pour avoir appelé à manifester sur les réseaux sociaux. Le message est clair : parler, c’est disparaître.
Samia Suluhu Hassan, la présidente qui prêche la paix… sans convaincre
Ce mardi matin, la cheffe de l’État a publié un message sur X (ex-Twitter) pour souhaiter un « joyeux 64e anniversaire » à son pays. Elle a insisté sur les valeurs de paix, unité et solidarité. Aucune allusion aux manifestations prévues, aucune mention des morts d’octobre, aucun mot sur la répression en cours.
Pour beaucoup de Tanzaniens, ce silence en dit plus long que n’importe quel discours. La femme qui devait incarner le renouveau après la présidence autoritaire de John Magufuli se retrouve aujourd’hui accusée d’avoir franchi une ligne rouge.
Dar es Salaam, miroir d’un pays sous tension permanente
La capitale économique du pays n’avait jamais connu une telle désertification. Les quartiers d’affaires habituellement bruyants sont muets. Les marchés, d’ordinaire grouillants de vie, sont clos. Même les plages le long de l’océan Indien, si prisées, restent vides.
Cette image d’une ville morte est devenue le symbole d’une nation qui retient son souffle. Personne n’ose prédire ce qui se passera si la colère accumulée finit par exploser à nouveau.
Car derrière les rideaux fermés, derrière les portes closes, la frustration continue de monter. Les Tanzaniens parlent à voix basse d’un printemps swahili qui pourrait surgir quand on s’y attendra le moins.
Un précédent dangereux pour toute l’Afrique de l’Est
La Tanzanie était longtemps considérée comme un îlot de stabilité dans une région tourmentée. Les images de répression sanglante ont choqué bien au-delà des frontières. Le Kenya, l’Ouganda et le Rwanda suivent la situation avec inquiétude.
Si le régime de Samia Suluhu Hassan parvient à étouffer la contestation par la terreur, d’autres gouvernements de la région pourraient être tentés de faire pareil. À l’inverse, si la rue finit par l’emporter, cela pourrait inspirer d’autres mouvements populaires.
En attendant, ce 9 décembre 2025 restera comme le jour où un pays entier a choisi – ou a été forcé – de fêter son indépendance en restant chez soi, sous la menace des armes.
La question que tout le monde se pose maintenant : combien de temps cette paix des cimetières peut-elle durer ?









