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Talibans Écrivent Leurs Mémoires de Guerre

Après 20 ans de guerre, les talibans prennent la plume pour raconter leur vérité. Leurs mémoires choquent et fascinent. Que révèlent-ils vraiment ?

Imaginez un combattant taliban, autrefois caché dans les montagnes afghanes, désormais assis à un bureau, un stylo à la main, rédigeant ses souvenirs de guerre. Cette image, presque irréelle, est aujourd’hui une réalité en Afghanistan. Depuis leur retour au pouvoir en 2021, plusieurs figures talibanes se sont lancées dans l’écriture de mémoires, cherchant à imposer leur version des vingt années de conflit avec l’Occident. Ces récits, souvent polémiques, visent à contrer ce qu’ils perçoivent comme une distorsion de la vérité par les médias étrangers.

Une Nouvelle Arme : la Plume

Après des décennies de combats, les talibans ont troqué leurs fusils pour des plumes, du moins temporairement. Dans un Afghanistan où le calme est relatif, ces mémoires deviennent un outil pour façonner leur héritage. Loin des champs de bataille, ces écrits cherchent à justifier leur lutte, à glorifier leur victoire, et à critiquer l’occupation occidentale, qu’ils qualifient de brutale et destructrice.

Leurs récits ne se contentent pas de raconter des faits. Ils sont aussi un moyen de réécrire l’histoire, en mettant en avant leur perspective, souvent absente des récits occidentaux. Mais que contiennent vraiment ces livres ? Et pourquoi suscitent-ils autant d’intérêt ?

Des Récits de Guerre Intimes

Parmi les auteurs, un membre influent du réseau Haqqani, aujourd’hui porte-parole de la police de Kaboul, a publié un ouvrage de 600 pages intitulé 15 minutes. Ce titre fait référence à une attaque de drone américain qu’il a évitée de justesse. Son livre, écrit en pachto, retrace son enfance marquée par les récits d’atrocités commises par les forces étrangères dans sa province de Khost. Il y décrit des scènes poignantes : des corps mutilés au bord des routes, des villages détruits, et un profond sentiment d’injustice qui l’a poussé à rejoindre les talibans.

J’ai vu chaque jour des histoires horribles, des corps en lambeaux sur le bas-côté de la route.

Extrait de 15 minutes

Son témoignage, bien que biaisé, offre une plongée rare dans la psyché d’un combattant taliban. Il insiste sur la notion de liberté, affirmant que sa lutte était motivée par le désir de protéger son pays contre une occupation étrangère. Ce type de narration, centrée sur l’expérience personnelle, rend ces mémoires particulièrement captivants pour les lecteurs afghans, avides de comprendre la guerre de l’intérieur.

Une Critique Virulente de l’Occident

Un autre ouvrage marquant, Mémoires de jihad, 20 ans sous occupation, est signé par un vice-ministre taliban. Ce livre, traduit en cinq langues, mêle souvenirs de guerre et pamphlets contre ce qu’il appelle le dragon assoiffé de sang américain. L’auteur y affirme que les États-Unis avaient planifié l’occupation de l’Afghanistan bien avant les attentats du 11 septembre 2001, rejetant l’idée d’une simple guerre contre le terrorisme.

Selon lui, les talibans ont tenté de négocier le sort d’Oussama Ben Laden, mais leurs efforts ont été ignorés. Cette version des faits, bien que controversée, vise à discréditer les motivations occidentales et à présenter les talibans comme des victimes d’une agression planifiée.

Chiffres clés du conflit :

  • 20 ans de guerre (2001-2021)
  • 38 pays de l’OTAN impliqués
  • Des dizaines de milliers d’Afghans tués
  • Près de 6 000 soldats étrangers morts, dont 2 400 Américains

Pour l’auteur, l’Occident a cherché à imposer sa culture et son idéologie, provoquant une résistance légitime. Ces accusations, bien que simplistes, trouvent un écho auprès d’un public afghan marqué par des années de violences et de destructions.

Un Succès Éditorial Inattendu

Les mémoires talibanes rencontrent un succès surprenant. L’ouvrage 15 minutes, tiré à 2 000 exemplaires, s’est écoulé rapidement, et une réimpression de 1 000 copies est en cours, avec une version prévue en dari. Ce succès s’explique par la curiosité des Afghans pour des récits authentiques, loin des narratifs étrangers souvent perçus comme biaisés.

Ces livres se distinguent par leur style autobiographique, une nouveauté dans la littérature talibane. Auparavant, leurs écrits se limitaient à des textes vantant les exploits de l’émirat islamique. Aujourd’hui, les récits personnels, riches en détails, séduisent un public plus large.

Certains passages, comme ceux évoquant la captivité du soldat américain Bowe Bergdahl, captivent par leur niveau de détail. L’auteur raconte les efforts pour le déplacer à travers les montagnes afghano-pakistanaises, les tentatives de le convertir à l’islam, et même des anecdotes sur sa vie personnelle. Ces éléments humanisent, à tort ou à raison, la figure du combattant taliban.

Un Silencieux sur les Victimes Civiles

Malgré leur richesse narrative, ces mémoires éludent un sujet crucial : les victimes civiles. Les attentats suicides et les attaques revendiquées par les talibans ont causé des milliers de morts parmi les Afghans. Pourtant, ces ouvrages minimisent ces pertes, préférant accuser les forces occidentales ou les collaborateurs afghans d’avoir sali le pays.

Nous avons veillé à sauver les vies des civils et des innocents.

Vice-ministre taliban

Cette omission suscite des critiques, même en Afghanistan, où beaucoup reprochent aux talibans leur responsabilité dans le chaos. En se concentrant sur leur propre victimisation, ces récits risquent de polariser davantage une société déjà divisée.

Un Combat Diplomatique

Depuis 2021, les talibans ont quitté les montagnes pour les bureaux de Kaboul. Leur lutte est désormais diplomatique. Ils cherchent à obtenir une reconnaissance internationale, malgré les critiques sur leur politique, notamment leur traitement des femmes, souvent qualifié d’apartheid de genre.

Leurs mémoires s’inscrivent dans cette stratégie. En publiant des récits accessibles en plusieurs langues, ils espèrent influencer l’opinion mondiale et légitérer leur pouvoir. Mais cette entreprise est complexe, car leurs écrits, bien que fascinants, peinent à effacer les stigmates de leur passé violent.

Objectifs des mémoires Impact visé
Justifier la lutte Légitimer leur victoire
Critiquer l’Occident Contredire les récits étrangers
Attirer un public Renforcer leur influence

En proclamant que la guerre est terminée, les talibans appellent à des relations apaisées, même avec leurs anciens ennemis. Mais leurs écrits, empreints de rancœur, laissent planer un doute sur leur capacité à tourner la page.

Pourquoi Ces Livres Fascinent

Les mémoires talibanes ne sont pas de simples souvenirs de guerre. Ils sont une tentative de réécrire l’histoire, de donner une voix à un mouvement longtemps réduit à une caricature. Leur succès, aussi bien local qu’international, repose sur leur authenticité brute et leur capacité à combler un vide narratif.

Pour les lecteurs afghans, ces livres offrent un regard inédit sur une guerre qui a façonné leur pays. Pour le reste du monde, ils sont une fenêtre sur la pensée talibane, à la fois fascinante et dérangeante. Mais leur capacité à susciter un débat éthique reste limitée par leur refus d’assumer leur part de responsabilité dans les violences.

En somme, ces mémoires sont à la fois un miroir et un écran de fumée. Ils reflètent la complexité d’un mouvement, mais occultent ses zones d’ombre. Leur lecture, aussi captivante soit-elle, exige un esprit critique pour démêler le vrai du biaisé.

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