Des propos récents d’Aïcha al-Debs, présidente du nouveau Bureau des affaires de la Femme à Damas, ont provoqué un véritable tollé en Syrie et sur les réseaux sociaux ce week-end. Interrogée par une télévision étrangère sur la place qui sera donnée aux associations féministes dans le pays, la responsable a expliqué qu’elles seront les bienvenues si elles « soutiennent le modèle que nous allons construire », ajoutant : « je ne vais pas ouvrir le passage à quiconque n’est pas d’accord avec ma pensée ».
Un « modèle propre à la société syrienne » en question
Aïcha al-Debs, seule femme du nouveau gouvernement de transition mis en place après la chute du régime de Bachar el-Assad, a appelé les Syriennes de tous horizons à se rassembler pour définir un modèle de société. Mais sa vision semble pour le moins conservatrice.
« Pourquoi adopter un modèle laïc ou civil ? Nous allons mettre en place un modèle propre à la société syrienne et c’est la femme syrienne qui va le réaliser », a-t-elle déclaré. Des propos qui font craindre à certains une dérive rigoriste, dans un pays qui se relève à peine d’une décennie de guerre et de dictature.
Le rôle « éducatif » des femmes en priorité
La responsable a également appelé ses concitoyennes à « ne pas outrepasser les priorités de leur nature créée par Dieu », citant en premier lieu « leur rôle éducatif au sein de la famille ». Une vision traditionnelle du rôle des femmes qui a suscité de vives réactions.
Tu peux parler de ta propre pensée dans ta maison, mais ne nous impose pas ta pensée qui veut qu’on reste à la maison
s’est insurgée une internaute syrienne sur Facebook
« Nous avons été emprisonnées pour pouvoir exprimer notre opinion, nous avons été déplacées, nos maisons ont été détruites, pour qu’à la fin tu viennes nous dire ce qui est permis et ce qui ne l’est pas ? », a dénoncé sur Twitter une actrice syrienne connue.
Inquiétudes pour les droits des femmes
Si la Syrie était considérée comme relativement progressiste sur les droits des femmes sous le règne de Hafez puis Bachar el-Assad, avec un fort taux d’éducation des filles notamment, beaucoup craignent un retour en arrière dans la Syrie d’après.
Les dix années de guerre, l’influence grandissante des mouvements islamistes et la régression économique ont déjà lourdement pesé sur la condition féminine. Avec en plus la montée d’un discours conservateur au sein même des nouvelles institutions, les militantes s’inquiètent pour l’avenir de leurs droits chèrement acquis.
Le gouvernement tente de calmer le jeu
Face au tollé provoqué par les propos d’Aïcha al-Debs, le nouveau gouvernement syrien a dû monter au créneau. Le chef de la diplomatie Assaad Hassan al-Chibani a assuré que les autorités « se tiendront aux côtés » des femmes « et soutiennent pleinement leurs droits ».
Nous croyons au rôle actif de la femme au sein de la société, et nous avons confiance en ses capacités et ses compétences
a-t-il affirmé sur Twitter dimanche
Mais beaucoup doutent de la volonté réelle du nouveau pouvoir de faire progresser la cause des femmes. Certains y voient plutôt une tentative de rassurer la communauté internationale, très attentive à la transition syrienne.
Quel avenir pour les Syriennes ?
Cette polémique révèle en tout cas les profondes divisions qui traversent la société syrienne sur la question du statut des femmes. Entre conservatisme religieux et aspirations à plus d’égalité et de liberté, la place des Syriennes sera assurément un des enjeux majeurs de la reconstruction du pays.
Alors que la Syrie se relève douloureusement de dix ans de conflit, les femmes entendent bien faire entendre leur voix pour façonner la société de demain. Mais le chemin s’annonce encore long et semé d’embûches pour faire triompher leurs droits, dans un contexte toujours très instable et incertain.