Après plus d’une décennie de guerre civile ayant déchiré la Syrie, un vent de changement souffle sur le pays avec la formation de son premier Parlement post-Assad. Mais ce processus, qui se déroule ce dimanche, suscite déjà des vagues de critiques. Pourquoi ? Parce qu’il semble loin des idéaux démocratiques tant espérés par une population épuisée par des années de conflits. Ce moment historique, censé marquer un tournant, est entaché par des accusations de manque de transparence et d’exclusion de certaines régions. Plongeons dans les détails de cette transition complexe, où espoirs et désillusions se mêlent.
Un Nouveau Parlement dans l’Ombre d’une Transition Contestée
La chute de Bachar al-Assad en décembre 2024, orchestrée par une coalition islamiste menée par Ahmad al-Chareh, a mis fin à treize années de guerre civile. Ce bouleversement a ouvert la voie à une refonte politique, avec la création d’un Parlement censé poser les bases d’une nouvelle Syrie. Pourtant, ce processus, loin d’être un modèle de démocratie, est perçu comme une consolidation du pouvoir d’Ahmad al-Chareh, président intérimaire. Sur les 210 sièges du Parlement, 70 sont directement nommés par ce dernier, tandis que 140 autres sont désignés par des comités locaux, eux-mêmes sélectionnés par une commission électorale sous son contrôle. Une configuration qui soulève des questions sur l’indépendance de cette nouvelle institution.
Dans ce contexte, deux provinces clés du nord-est, sous contrôle kurde, et la région de Soueida, à majorité druze, sont exclues du processus. Résultat : 32 sièges restent vacants, un symbole de l’exclusion de populations entières. De plus, la faible représentation des femmes, avec seulement 14 % des 1 578 candidats, accentue les critiques sur l’inclusivité de cette consultation.
Un Processus Loin des Standards Démocratiques
Ce n’est pas une surprise : le mot « élections » semble mal choisi pour décrire ce qui se passe en Syrie aujourd’hui. Comme le souligne Bassam al-Ahmad, directeur exécutif de l’ONG Syriens pour la Vérité et la Justice :
« On peut appeler ce processus comme on veut, mais ce n’est pas des élections, c’est une nomination. »
Ce sentiment est partagé par de nombreux Syriens. À Damas, dans le café al-Rawda, un lieu emblématique où les discussions politiques vont bon train, Louay al-Arfi, un retraité de 77 ans, exprime son ambivalence. Soutenant le nouveau pouvoir, il regrette néanmoins l’absence d’un véritable scrutin : « C’est une nécessité pour la transition, mais nous voulons des élections directes à l’avenir. » Cette tension entre pragmatisme et aspiration démocratique est au cœur des débats.
Les critiques ne viennent pas seulement des citoyens. Quatorze organisations de la société civile ont dénoncé, dans un communiqué publié mi-septembre, une concentration excessive des pouvoirs entre les mains du président intérimaire. Selon elles, ce système permet à Ahmad al-Chareh de constituer une majorité parlementaire loyale, au détriment du pluralisme. Ce constat est d’autant plus préoccupant que le Parlement, dont le mandat de deux ans et demi est renouvelable, aura pour mission d’élaborer une nouvelle Constitution et de préparer le terrain pour des élections futures.
Des Régions Exclues : Un Risque de Fractures Persistantes
La marginalisation de certaines régions, comme les zones kurdes du nord-est et Soueida, alimente les tensions. Dans le nord-est, les Kurdes, qui contrôlent une partie du territoire syrien, revendiquent un système de gouvernance décentralisé. Les négociations avec le pouvoir central, qui rejette toute forme de décentralisation, sont dans l’impasse. Nichan Ismaïl, un instituteur de 40 ans originaire de cette région, déplore cette exclusion :
« Les élections auraient pu être un nouveau départ politique, mais la marginalisation de nombreuses régions montre que les règles de la participation politique ne sont pas respectées. »
À Soueida, la situation est tout aussi tendue. Cette région, majoritairement druze, a été le théâtre de violences récentes, et son exclusion du processus électoral renforce le sentiment d’injustice. Bourhan Azzam, un militant local de 48 ans, résume l’opinion générale : « Ce processus ne respecte pas les règles de base de la démocratie. »
Ces exclusions ne sont pas anodines. Elles risquent d’aggraver les fractures ethniques et religieuses dans un pays déjà marqué par des divisions profondes. La guerre civile, déclenchée en 2011 par la répression de manifestations prodémocratie, a laissé des cicatrices béantes, avec plus d’un demi-million de morts et des centaines de milliers de Syriens ayant fui à l’étranger. La reconstruction d’une société unie passe par une inclusion de toutes ses composantes, un défi que ce Parlement semble, pour l’instant, incapable de relever.
Les Défis d’une Transition sous Pression
Ahmad al-Chareh justifie l’impossibilité d’organiser des élections directes par des contraintes logistiques, notamment la situation des réfugiés syriens. Des centaines de milliers d’entre eux, ayant fui le pays sans documents en règle, ne peuvent participer à un scrutin. Cette réalité complique l’organisation d’un processus véritablement inclusif. Pourtant, pour beaucoup, cet argument ne suffit pas à légitimer un système où le président intérimaire conserve un contrôle aussi marqué sur la composition du Parlement.
Pour mieux comprendre les enjeux, voici un récapitulatif des points clés du processus :
- Composition du Parlement : 210 sièges, dont 70 nommés par le président et 140 par des comités locaux.
- Exclusions régionales : Les provinces kurdes et Soueida ne participent pas, laissant 32 sièges vacants.
- Représentation des femmes : Seulement 14 % des candidats sont des femmes.
- Mandat : Deux ans et demi, renouvelable, avec pour mission d’élaborer une nouvelle Constitution.
Ce cadre, bien que présenté comme une étape transitoire, peine à convaincre. Les règles électorales, qui excluent les partisans de l’ancien régime et ceux prônant la sécession, limitent encore davantage la diversité des voix représentées. Mayssa Halwani, une candidate de 48 ans, reconnaît les critiques mais défend le processus : « Le gouvernement est nouveau, la liberté aussi. Il est normal qu’il y ait des ajustements. »
Vers une Démocratie ou une Nouvelle Forme d’Autoritarisme ?
La dissolution de l’ancienne Assemblée du peuple, qui servait de chambre d’enregistrement sous le régime Assad, était une étape attendue. Mais le nouveau Parlement, loin de rompre avec les pratiques du passé, semble reproduire un système où le pouvoir reste concentré. Les comités locaux, censés représenter la population, sont sous l’égide d’une commission électorale nommée par le président. Cette structure donne à Ahmad al-Chareh un contrôle presque total sur le processus législatif.
Pourtant, tout n’est pas noir. Certains Syriens, comme ceux rencontrés au café al-Rawda, veulent croire en une transition graduelle. Ils reconnaissent que la reconstruction d’un pays ravagé par la guerre ne peut se faire en un jour. Cependant, les attentes sont immenses : après des années de souffrances, les Syriens aspirent à une véritable démocratie, où chaque voix compte, et où les divisions ethniques et religieuses ne sont plus un obstacle à l’unité nationale.
Un Avenir Incertain pour la Syrie
Ce premier Parlement post-Assad est un test crucial pour la Syrie. Il doit poser les bases d’une nouvelle Constitution et préparer le terrain pour des élections plus inclusives. Mais les obstacles sont nombreux : tensions régionales, exclusion de populations, méfiance envers le pouvoir central et défis logistiques liés aux réfugiés. Le pays, encore marqué par les stigmates de la guerre, doit trouver un équilibre entre stabilité et justice.
Pour l’instant, le processus en cours ressemble davantage à une transition contrôlée qu’à une révolution démocratique. Les critiques des ONG et des citoyens, comme celles de Bassam al-Ahmad ou de Nichan Ismaïl, rappellent que la légitimité d’un pouvoir repose sur sa capacité à représenter tous les Syriens, sans distinction. La question demeure : ce Parlement sera-t-il un premier pas vers la démocratie, ou une simple continuation du contrôle autoritaire sous une nouvelle forme ?
La réponse à cette question dépendra des actions du président intérimaire et de la capacité du peuple syrien à faire entendre sa voix. Dans un pays où la liberté est encore fragile, chaque étape compte. Ce dimanche, les regards sont tournés vers ce Parlement naissant, avec un mélange d’espoir prudent et de scepticisme bien fondé.
Aspect | Détails |
---|---|
Nombre de sièges | 210, dont 32 vacants |
Mode de désignation | 70 nommés par le président, 140 par comités locaux |
Représentation des femmes | 14 % des candidats |
Régions exclues | Provinces kurdes et Soueida |
Ce tableau résume les éléments clés de ce processus controversé, qui illustre les défis d’une transition politique dans un pays fracturé. Alors que la Syrie tente de se relever, le chemin vers une démocratie inclusive reste semé d’embûches. L’avenir dira si ce Parlement, malgré ses imperfections, pourra poser les jalons d’un renouveau politique ou s’il ne sera qu’une étape dans une lutte de pouvoir prolongée.