C’est une véritable ruée diplomatique qui s’opère actuellement vers la capitale syrienne. Quelques jours à peine après la chute aussi soudaine qu’inattendue du régime de Bachar el-Assad, les chancelleries occidentales se pressent à Damas pour nouer des contacts avec les nouveaux maîtres du pays, issus des rangs des groupes rebelles islamistes.
Alors que la guerre civile fait rage depuis plus de 12 ans, laissant le pays exsangue, cette transition précipitée du pouvoir suscite autant d’espoirs que d’interrogations sur l’avenir de la Syrie. Dans ce contexte, Américains et Européens, qui avaient rompu tout lien avec Damas dès 2011, s’empressent de renouer le dialogue, soucieux d’accompagner et d’influencer le cours des événements.
Accompagner une transition à hauts risques
Parmi les premiers sur les rangs, les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont dépêché des émissaires dans la capitale syrienne. La France a elle aussi envoyé une délégation de quatre diplomates, hissant symboliquement le drapeau tricolore sur son ambassade fermée depuis mars 2012. L’ONU n’est pas en reste, se félicitant d’un « plein accès humanitaire » désormais possible via les points de passage frontaliers.
L’enjeu pour les Occidentaux est d’encourager la mise en place rapide d’un gouvernement de transition inclusif, représentatif des différentes forces politiques et communautés du pays. Washington et ses alliés insistent notamment sur la nécessité de protéger les minorités, au premier rang desquelles les Alaouites dont Bachar el-Assad était issu, et qui risquent de faire l’objet de représailles.
Rompre avec l’Iran et la Russie
Mais au-delà des déclarations d’intention, les diplomaties occidentales ne cachent pas leurs arrière-pensées stratégiques. Leur espoir est de convaincre les nouvelles autorités, dominées par le groupe djihadiste Hayat Tahrir al-Cham (HTC), de rompre avec l’Iran et la Russie, les deux parrains de Damas qui ont soutenu Bachar el-Assad jusqu’au bout.
L’objectif de l’Occident est d’éloigner la Syrie de l’axe Moscou-Téhéran dans lequel Bachar el-Assad l’avait entraînée. Mais rien ne garantit que les nouveaux dirigeants se laisseront dicter leur politique étrangère.
Une source diplomatique occidentale à Damas
Une économie en ruine
Au-delà de ces considérations géopolitiques, la priorité immédiate pour les maîtres de Damas est économique. Douze années de conflit ont laissé le pays en ruine, avec des pans entiers des infrastructures à reconstruire. Une tâche titanesque que la Syrie, sous le coup de lourdes sanctions internationales, est bien en peine d’assumer seule.
Obtenir une levée rapide de ces sanctions constitue la principale requête des nouveaux dirigeants. Un dossier sur lequel les Occidentaux se montrent pour l’heure prudents, conditionnant tout assouplissement à des « signaux clairs » en matière de transition démocratique et de respect des droits humains. Une approche jugée trop « idéologique » par certains, au regard de l’urgence humanitaire sur le terrain.
Conditionner l’aide à la bonne volonté des nouveaux dirigeants risque de pénaliser en premier lieu la population syrienne, déjà durement éprouvée. Il faut d’urgence briser le cercle vicieux des sanctions.
Un expert onusien joint par téléphone
Eviter les erreurs du passé
Soucieux d’éviter de répéter les erreurs commises en Irak ou en Libye, où leur interventionnisme militant a contribué au chaos, Européens et Américains avancent cette fois sur la pointe des pieds. L’objectif n’est plus de dicter sa feuille de route à la Syrie, mais d’accompagner le mouvement en dosant savamment pression et incitation.
Une stratégie de long terme qui mise sur le pragmatisme, dans un pays encore largement dominé par les militants islamistes les plus radicaux. Avec l’espoir qu’un soutien bien ciblé puisse favoriser l’émergence progressive de dirigeants plus modérés et réceptifs aux standards démocratiques. Un pari audacieux dont nul ne peut prédire aujourd’hui s’il sera gagnant.