Imaginez que votre grand-père ait dû fuir son pays du jour au lendemain, laissant derrière lui la maison familiale, la boutique, les souvenirs. Des décennies plus tard, quelqu’un frappe à votre porte et vous tend les clés. Cette scène, presque irréelle, est en train de devenir possible pour des milliers de familles juives syriennes exilées.
Un tournant historique un an après la chute d’Assad
Le mercredi 10 décembre 2025, les nouvelles autorités syriennes ont franchi un pas que peu osaient espérer : elles ont officiellement délivré une licence à la Fondation pour le patrimoine juif en Syrie. Pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir du clan Assad, une association juive est autorisée à opérer légalement sur le sol syrien.
Ce n’est pas un simple tampon administratif. C’est la reconnaissance officielle qu’une injustice historique peut être réparée, même des années après.
Hind Kabawat : « Nous ne faisons aucune distinction entre les religions »
La ministre des Affaires sociales, Hind Kabawat, n’a pas mâché ses mots devant les journalistes. Elle a présenté cette décision comme un message fort : la Syrie nouvelle souhaite être celle de toutes ses composantes, sans distinction confessionnelle.
« Il s’agit d’un message fort de l’État syrien : nous ne faisons aucune distinction entre une religion et une autre. Nous voulons aider toutes les confessions qui souhaitent participer à la construction de notre nouvel État. »
Hind Kabawat, ministre des Affaires sociales
Des mots qui résonnent particulièrement quand on connaît le passé récent du pays.
Henry Hamra, la voix de la diaspora
À la tête de cette fondation, on trouve Henry Hamra, Syrien installé aux États-Unis. Il a accepté de parler ouvertement de la mission qui l’attend. Son père, Youssef Hamra, âgé de 77 ans, fut le dernier rabbin à quitter officiellement la Syrie dans les années 1990.
En février 2025, Henry et son père faisaient partie de la première délégation juive autorisée à revenir prier dans la synagogue du vieux Damas depuis des décennies. Une prière empreinte d’émotion, dans un lieu resté fermé au public pendant si longtemps.
Henry Hamra l’assure : le travail commence maintenant.
« Nous allons recenser les biens juifs, restituer ceux qui ont été saisis sous le régime déchu, protéger, entretenir et restaurer les lieux sacrés afin qu’ils soient accessibles aux juifs du monde entier qui souhaitent les visiter. »
Henry Hamra
Des milliers de propriétés en jeu
Le chiffre donne le vertige. Selon Mouaz Moustafa, directeur de la Syrian Emergency Task Force qui accompagnait la délégation de février, des dizaines de maisons appartenant à des familles juives ont déjà été identifiées comme ayant été confisquées sous le régime de Bachar al-Assad.
Et ce n’est qu’un début. Boutiques, appartements, terrains… l’inventaire complet pourrait prendre des années.
Mais la volonté politique semble réelle. Reste à transformer l’intention en actes concrets.
Une communauté réduite à presque rien
Il y a un siècle, la Syrie comptait plus de 30 000 juifs, notamment à Damas, Alep et Qamishli. Après les guerres israélo-arabes et les restrictions successives, ils n’étaient plus que 5 000 au début des années 1990.
Aujourd’hui ? On parle d’une poignée de personnes, parfois moins de dix, qui vivent encore dans le pays. La quasi-totalité de la communauté vit en Israël, aux États-Unis, en Amérique latine ou en Europe.
La restitution ne se fera donc pas à des habitants sur place, mais à des familles dispersées aux quatre coins du globe. Un défi logistique et émotionnel immense.
Les synagogues, mémoire vivante du judaïsme syrien
Parmi les priorités de la fondation : la restauration des synagogues. La plus célèbre reste celle de Jobar, à Damas, légendaire pour abriter, selon la tradition, la grotte où le prophète Élie aurait été oint.
Même endommagée pendant la guerre, elle demeure un symbole fort. D’autres lieux, comme la synagogue du quartier juif de Damas ou celles d’Alep, attendent aussi d’être sauvés de l’oubli.
L’idée n’est pas seulement de réparer des murs. C’est de redonner à ces lieux leur vocation : accueillir pèlerins, touristes, ou simples curieux du monde entier.
Un signal envoyé au monde entier
En autorisant cette fondation, les nouvelles autorités syriennes adressent un message clair aux opinions publiques occidentales et à Israël : le pays change. On ne juge plus une société à ses seules erreurs passées, mais à sa capacité à les reconnaître et à les réparer.
Dans un Moyen-Orient encore fracturé, ce geste pourrait ouvrir des portes inattendues.
Des portes vers la réconciliation, vers la reconstruction, vers une Syrie où chaque pierre raconte une histoire, sans être effacée.
Les clés des maisons juives syriennes, perdues depuis si longtemps, pourraient bien être le premier pas d’un très long chemin de retour. Pas forcément physique. Mais symbolique, mémoriel, humain.
Et parfois, c’est déjà énorme.









