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Syrie : le nouveau pouvoir d’Idlib soutient ses entrepreneurs

Après sept ans d'isolement, Idlib voit son économie renaître. Mais ce sont surtout les proches du nouveau pouvoir, mené par les islamistes, qui en profitent. Un tournant pour la ville au cœur de la révolution syrienne...

Après sept longues années passées en vase clos, coupée du monde, la ville syrienne d’Idlib voit aujourd’hui son économie renaître de ses cendres. Mais dans ce nouveau paysage économique qui se dessine, ce sont surtout les hommes d’affaires proches du nouveau pouvoir en place, mené par les islamistes de Hayat Tahrir al-Cham, qui semblent tirer leur épingle du jeu. Un constat qui en dit long sur les nouveaux équilibres qui régissent désormais cette ville symbole de la révolution syrienne.

Idlib, de la révolution à la reconstruction

Berceau de la révolte contre le régime de Bachar al-Assad en 2011, Idlib a vécu au rythme des combats et des bombardements pendant de longues années. Mais depuis la chute du dictateur, la donne a changé. La ville, passée sous le contrôle du « gouvernement de salut national » du groupe djihadiste Hayat Tahrir al-Cham (HTS), ancien Front al-Nosra, connaît un retour progressif à la normale. Et avec lui, un renouveau économique porté par une nouvelle génération d’entrepreneurs.

Parmi eux, Amer Sheikhani, 30 ans, incarne cette nouvelle classe d’affaires montante. À la tête de plusieurs enseignes prospères, dont une chaîne de restaurants et des magasins de vêtements et d’électronique, ce trentenaire ambitieux symbolise la réussite dans l’Idlib post-conflit. Son secret ? Des liens étroits avec le nouveau pouvoir en place. « Avant, nous ne pouvions pas développer nos affaires à Idlib, mais maintenant, rien ne nous arrête », confie-t-il lors d’une virée dans les rues de la ville à bord de son rutilant SUV Mercedes.

Un nouveau système qui profite à une élite

Car si la reconstruction bat son plein à Idlib, elle se fait sous l’œil bienveillant de HTS et profite en priorité à un cercle restreint proche du pouvoir. « Les meilleurs contrats et opportunités sont trustés par ceux qui ont des connexions avec les dirigeants », explique sous couvert d’anonymat un entrepreneur local. Une réalité qui crée des frustrations chez ceux qui restent sur le bord du chemin. « Il y a un vrai problème d’équité et de transparence dans l’attribution des marchés », regrette un ancien opposant.

Il faut dire que le « gouvernement de salut » contrôle d’une main de fer les rouages économiques, n’hésitant pas à placer ses hommes aux postes clés. C’est le cas du nouveau ministre de la Justice, identifié fin 2025 dans une vidéo d’exécution de femmes accusées de prostitution datant de 2015, à une époque où il officiait comme juge islamique dans la région sous domination djihadiste. Un profil qui en dit long sur les pratiques de HTS, group islamiste avant tout.

Une économie sous perfusion, des défis à relever

Malgré ces dérives, l’économie d’Idlib reste sous perfusion. Si les États-Unis ont partiellement levé les lourdes sanctions visant la Syrie pour faciliter l’aide humanitaire, de nombreuses restrictions restent en place et pèsent sur le quotidien des 4 millions d’habitants de la région. Le chômage et la pauvreté restent très élevés, la reconstruction est loin d’être achevée et des pans entiers d’activité peinent à redémarrer, à l’image de l’agriculture.

Face à ces défis majeurs, le pouvoir en place mise à fond sur le secteur privé et les investisseurs étrangers pour relancer la machine économique. Mais sans réformes profondes ni réelle ouverture démocratique, les fruits de la reconstruction risquent de ne profiter qu’à une poignée de privilégiés, au détriment de la majorité de la population. La communauté internationale, qui souhaite éviter à tout prix le retour des djihadistes, surveillera de près les évolutions politico-économiques de la région dans les mois à venir.

Entre business et idéologie, l’avenir en pointillés d’Idlib

Car derrière la façade brillante des nouveaux quartiers d’affaires et des success stories comme celle d’Amer Sheikhani, l’avenir d’Idlib reste pavé d’incertitudes. Miné par des fractures profondes héritées de la guerre, soumis à une gouvernance autoritaire aux accents islamistes, le nouveau pouvoir en place parviendra-t-il à assurer le développement équilibré et juste de la région, une fois l’euphorie de la reconstruction passée ?

Les tentatives avortées d’imposer des réformes éducatives imprégnées d’idéologie salafiste dans les écoles publiques montrent les limites de l’exercice. Tout comme les divergences flagrantes qui persistent entre factions armées malgré l’unité de façade. Entre volonté d’ouverture économique et tentation du repli religieux, l’équation s’annonce complexe pour HTS qui devra, tôt ou tard, clarifier sa vision pour Idlib et ses habitants.

Une chose est sûre : l’ancien bastion rebelle, meurtri par des années de conflit, espère tourner la page de la guerre et aspire à un avenir meilleur. Mais le chemin de la réconciliation et de la reconstruction inclusive sera long et semé d’embûches. Dans ce contexte, le boom économique actuel, aussi spectaculaire soit-il, ne pourra faire l’économie de réformes politiques profondes. Sans quoi Idlib risque de passer d’une dictature à une autre, d’Assad aux djihadistes, avec son lot d’inégalités et de frustrations. Un scénario que la communauté internationale, engagée sur le dossier syrien, se doit d’éviter à tout prix.

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