Dans un contexte de bouleversements géopolitiques, la Syrie semble ouvrir une nouvelle page de son histoire. Après des décennies de tensions avec son voisin israélien, des négociations inédites sont en cours pour établir un accord de sécurité qui pourrait redéfinir les relations dans la région. Ahmad al-Chareh, président syrien par intérim, a récemment révélé des discussions visant à ramener la stabilité dans les zones occupées par Israël depuis la chute de Bachar al-Assad. Ce dialogue, bien que fragile, pourrait-il marquer un tournant historique ?
Un Contexte de Crise et d’Opportunités
Le 8 décembre 2024, la chute du régime de Bachar al-Assad, orchestrée par une coalition menée par des groupes islamistes, a bouleversé l’équilibre précaire de la région. Alors que le pouvoir syrien s’effondrait, Israël a saisi l’opportunité pour déployer ses forces dans la zone tampon du plateau du Golan, une région stratégique surveillée par l’ONU depuis l’armistice de 1973. Ce mouvement a été perçu comme une réponse à l’instabilité soudaine, mais il a également ravivé les tensions historiques entre les deux nations, techniquement en guerre depuis 1948.
Cette occupation, suivie de centaines de frappes aériennes israéliennes sur des cibles militaires syriennes, a marqué un point de rupture. Pourtant, la nouvelle direction syrienne, sous la houlette d’Ahmad al-Chareh, a choisi de ne pas riposter militairement, privilégiant la voie diplomatique. Ce choix audacieux reflète une volonté de stabiliser le pays tout en évitant une escalade militaire qui pourrait plonger la région dans un chaos encore plus profond.
Les Négociations : Un Pari Diplomatique
Dans une interview accordée à une chaîne de télévision publique, Ahmad al-Chareh a révélé l’existence de pourparlers avec Israël. Ces discussions visent à établir un nouvel accord de sécurité pour restaurer le statu quo ante, c’est-à-dire ramener les forces israéliennes à leurs positions d’avant le 8 décembre. Selon al-Chareh, la Syrie a réaffirmé son engagement envers l’accord de désengagement de 1974, malgré la perception israélienne que cet accord avait été rompu avec la chute d’Assad.
« Nous sommes actuellement dans un état de négociations et de dialogue sur la question d’un accord de sécurité. »
Ahmad al-Chareh
Ces négociations, bien que complexes, témoignent d’une volonté de part et d’autre de désamorcer les tensions. La rencontre à Paris entre le ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad al-Chaibani, et son homologue israélien, Ron Dermer, illustre cette tentative de dialogue. L’objectif principal : trouver un terrain d’entente pour éviter une confrontation ouverte tout en abordant la situation volatile dans la province de Soueida, où des violences intercommunautaires ont éclaté.
Le Golan : Un Enjeu Stratégique
Le plateau du Golan reste au cœur des tensions entre la Syrie et Israël. Annexé par Israël en 1981, ce territoire stratégique n’a jamais été reconnu comme israélien par Damas ni par la communauté internationale. La zone tampon, établie après la guerre de 1973, a longtemps servi de rempart contre les affrontements directs. Cependant, l’effondrement du régime Assad a créé un vide sécuritaire, poussant Israël à intervenir pour protéger ses intérêts.
Les incursions israéliennes dans le sud de la Syrie, notamment dans la province de Soueida, majoritairement peuplée de Druzes, ont ajouté une dimension communautaire au conflit. Israël, qui soutient les Druzes pour des raisons historiques et stratégiques, a cherché à stabiliser cette région. Les négociations en cours incluent donc des discussions sur une possible démilitarisation du sud syrien, une proposition avancée par le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, dès août 2024.
Les points clés des négociations :
- Rétablissement de la zone tampon du Golan.
- Engagement syrien à respecter l’accord de 1974.
- Démilitarisation partielle du sud de la Syrie.
- Stabilisation de la province de Soueida.
La Russie : Un Acteur en Retrait
Un autre acteur clé dans ce dossier est la Russie, alliée historique de Bachar al-Assad. Ahmad al-Chareh a révélé que des négociations secrètes avaient eu lieu avec Moscou dès l’avancée des forces islamistes vers Hama. Ces discussions ont permis à la Russie de rester en dehors des combats, notamment lorsque les rebelles ont atteint Homs. Un accord tacite a également préservé la base aérienne russe de Hmeimim, un site stratégique sur la côte méditerranéenne syrienne.
La Russie, qui maintient des bases militaires à Hmeimim et Tartous, a joué un rôle discret mais crucial. En évitant d’interférer dans l’offensive finale contre Assad, Moscou a préservé ses intérêts tout en laissant la porte ouverte à une coopération avec la nouvelle direction syrienne. Cette retenue pourrait indiquer une volonté russe de maintenir une influence dans la région, sans s’impliquer directement dans le nouveau conflit.
Les Défis d’un Dialogue Fragile
Si ces négociations représentent une lueur d’espoir, elles restent semées d’embûches. La Syrie et Israël n’entretiennent pas de relations diplomatiques, et la méfiance mutuelle reste profonde. L’annexion du Golan par Israël, jamais acceptée par Damas, continue de compliquer les discussions. De plus, la situation interne en Syrie, marquée par des tensions intercommunautaires et une instabilité politique, fragilise la position de négociation d’al-Chareh.
La province de Soueida, où les violences entre communautés ont nécessité une intervention israélienne, illustre la complexité de la situation. Les Druzes, soutenus par Israël, sont au cœur des discussions pour garantir leur sécurité. Cependant, toute avancée diplomatique devra également prendre en compte les aspirations des autres communautés syriennes, ainsi que les intérêts des puissances régionales et internationales.
Vers une Nouvelle Ère ?
Les négociations entre la Syrie et Israël, bien que préliminaires, ouvrent la voie à une possible désescalade dans une région marquée par des décennies de conflits. La volonté affichée par Ahmad al-Chareh de privilégier le dialogue plutôt que la confrontation est un signal encourageant. Cependant, le chemin vers un accord durable reste long et incertain, notamment en raison des divergences historiques et des intérêts divergents des acteurs impliqués.
Pour résumer, les enjeux actuels incluent :
- Rétablir la stabilité dans le Golan et le sud de la Syrie.
- Prévenir une escalade militaire entre les deux nations.
- Intégrer les préoccupations des communautés locales, notamment les Druzes.
- Maintenir un équilibre avec les puissances régionales comme la Russie.
Alors que la Syrie tente de se reconstruire après des années de guerre, ces discussions pourraient poser les bases d’une coexistence pacifique, bien que fragile. Reste à savoir si les deux parties sauront surmonter leurs différends pour écrire un nouveau chapitre dans leurs relations.