Dans les bastions alaouites de l’ouest syrien, la chute soudaine de Bachar al-Assad, issu de cette même minorité, suscite des réactions contrastées. Si certains se réjouissent de la fin d’un régime qui les a appauvris et envoyés au front, beaucoup s’inquiètent pour leur avenir sous un pouvoir rebelle à dominante islamiste sunnite.
Une « libération » source d’inquiétudes
Pour une étudiante alaouite de Lattaquié, qui a requis l’anonymat, la situation est préoccupante malgré la « libération » : « Beaucoup comme moi sont inquiets parce que ceux qui nous ont libérés comprennent des factions qui ont une sombre histoire », confie-t-elle. En effet, le groupe islamiste radical HTS, fer de lance de l’offensive rebelle, est issu d’une ancienne branche d’Al-Qaïda connue pour ses attaques meurtrières contre les alaouites.
Selon le politologue Fabrice Balanche, auteur de « Les leçons de la crise syrienne », l’association étroite des alaouites avec le régime Assad risque de provoquer contre eux une « vengeance collective », d’autant qu’ils sont considérés comme hérétiques par les islamistes. Une crainte renforcée par les nombreux messages haineux lus en ligne par la jeune étudiante : « Je lis: ‘Votre tour viendra’ ou ‘Nous allons vous tuer' », rapporte-t-elle, évoquant de fortes « tensions communautaires ».
Exode et violences anti-alaouites
Face à l’avancée rebelle, de nombreux alaouites ont fui les villes mixtes comme Homs pour se réfugier dans leur région côtière d’origine, à Lattaquié et Tartous. Mais même là, l’Observatoire syrien des droits de l’Homme rapporte plusieurs violences commises par des combattants rebelles contre des civils depuis la chute d’Assad.
Nous sommes ouverts à collaborer avec toute partie, et nous voulons un Etat de droit (…) mais nous nous inquiétons de l’arrivée d’un régime islamique.
Un enseignant de Jableh
Le lourd tribut des alaouites
Surreprésentés dans l’armée, les alaouites ont payé un lourd tribut depuis 2011. « Un homme sur trois entre 20 et 45 ans est mort » dans ce conflit déclenché par la répression d’un soulèvement prodémocratie, souligne Fabrice Balanche. Une hécatombe qui explique le soulagement de beaucoup à la chute du régime.
« La plupart ne pouvaient pas supporter les Assad, qui nous volaient en monopolisant les richesses du pays », raconte l’étudiante de Lattaquié. « Ils nous ont forcés à vivre dans la misère, sans électricité ni eau courante, alors que les prix explosaient. »
Entre espoirs et appréhensions
Les chefs religieux alaouites ont appelé à une amnistie générale et des garanties pour le retour des déplacés. De son côté, le nouveau pouvoir dominé par HTS a promis de garantir « les droits de tous les peuples et confessions ». Mais rapidement, des combattants ont demandé à des magasins d’arrêter de vendre de l’alcool et fait retirer des affiches montrant des femmes en tenue de sport, suscitant des inquiétudes.
Comme le résume un enseignant de Jableh, « le jour où Assad est tombé, j’ai ressenti un mélange de peur et de joie ». Un sentiment partagé par de nombreux alaouites, partagés entre soulagement et angoisse à l’aube d’une nouvelle ère pour la Syrie et pour leur communauté. L’avenir dira si leurs espoirs l’emporteront sur leurs craintes dans une société syrienne à reconstruire.