Le 8 décembre 2024, Damas vivait un moment historique. Un homme de 43 ans, ancien combattant jihadiste, entrait dans la capitale à la tête de forces rebelles et mettait fin à plus de cinquante ans de règne du clan Assad. Un an plus tard, jour pour jour, ce même homme, devenu président par intérim, revient sur les lieux en uniforme militaire et lance un appel solennel à l’unité nationale.
Un appel à l’unité dans une Syrie encore fragile
Devant la mosquée des Omeyyades, après la prière du matin, Ahmed al-Chareh a pris la parole avec gravité. Son message est clair : la Syrie a besoin de tous ses enfants pour se relever.
« La phase actuelle exige que tous les citoyens unissent leurs efforts pour bâtir une Syrie forte, consolider sa stabilité, préserver sa souveraineté »
Ces mots résonnent comme un rappel : la victoire militaire n’était qu’une étape. La véritable bataille, celle de la reconstruction et de la réconciliation, ne fait que commencer.
Un parcours improbable à la tête de l’État
Ahmed al-Chareh n’était pas destiné à devenir président. Ancien cadre d’une organisation jihadiste, il a passé des années dans l’opposition armée la plus radicale. Pourtant, au fil des mois qui ont suivi la chute du régime, il a opéré une métamorphose spectaculaire.
Renonçant publiquement à l’idéologie extrémiste, il a multiplié les gestes d’ouverture. Réhabilitation des institutions, dialogue avec les minorités, réformes sécuritaires : son action a permis une chose inespérée il y a encore deux ans, la levée progressive des sanctions internationales.
Aujourd’hui, la Syrie réintègre peu à peu les cercles diplomatiques. Des ambassades rouvrent, des délégations économiques arrivent. Le pays respire enfin, même si l’air reste chargé de méfiance.
Des célébrations sous tension
Depuis fin novembre, des cérémonies commémorent l’offensive éclair qui a renversé le régime en à peine douze jours. Ce lundi, une grande parade militaire doit avoir lieu dans les rues de Damas, suivie d’un nouveau discours du président.
Mais l’ambiance n’est pas à la fête partout. Plusieurs voix discordantes se sont élevées, rappelant que la victoire a aussi ses laissés-pour-compte.
Dans la communauté alaouite, dont était issu Bachar al-Assad, la crainte est palpable. Des attaques ciblées, des règlements de comptes, parfois des massacres, ont eu lieu ces derniers mois. Un influent leader spirituel alaouite, Ghazal Ghazal, a appelé au boycott des célébrations officielles.
Plus au nord-est, l’administration autonome kurde a purement et simplement interdit tout rassemblement public dimanche et lundi, invoquant la menace persistante de cellules terroristes.
Les défis sécuritaires qui persistent
La Syrie nouvelle doit composer avec plusieurs fronts brûlants. À l’ouest, les régions druzes et alaouites restent instables. Des affrontements intercommunautaires éclatent régulièrement, parfois avec des dizaines de morts.
À l’est, les forces kurdes maintiennent leur contrôle sur de vastes territoires riches en pétrole et en céréales, refusant toute intégration complète tant que leurs droits ne sont pas garantis.
Et puis il y a le voisin israélien. Depuis un an, l’armée israélienne multiplie les frappes aériennes, officiellement pour empêcher le transfert d’armes à des groupes encore actifs. Ces opérations, parfois meurtrières, sont vécues comme une humiliation par une grande partie de la population.
Les principaux points chauds actuels :
- Régions côtières (alaouites) : violences sectaires récurrentes
- Montagnes druzes : tensions avec les forces gouvernementales
- Nord-Est : désaccords profonds avec l’administration kurde
- Frontière sud : incursions et frappes israéliennes régulières
Le message de l’ONU : une occasion historique
Dans ce contexte contrasté, la communauté internationale observe avec une prudence mêlée d’espoir. Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a publié un communiqué remarqué :
« C’est l’occasion de reconstruire des communautés brisées et de panser des divisions profondes »
Il appelle à faire de la Syrie « une nation où chaque Syrien, indépendamment de son appartenance ethnique, de sa religion, de son sexe ou de son affiliation politique, peut vivre en sécurité, dans l’égalité et dans la dignité ».
Ces mots font écho à ceux du président Chareh. Pour la première fois depuis longtemps, les discours convergent. Reste à passer des paroles aux actes.
Vers quelle Syrie en 2026 ?
Un an après la chute du régime, le bilan est contrasté. La dictature a été renversée, les prisons politiques vidées, la liberté d’expression progresse. Mais la paix reste précaire, l’économie exsangue, et les blessures communautaires béantes.
Ahmed al-Chareh a réussi l’improbable : transformer un chef de guerre en homme d’État crédible aux yeux d’une partie du monde. Il sait cependant que son crédit est fragile. Chaque nouvel incident, chaque nouvelle frappe, chaque nouveau boycott remet en question la légitimité du pouvoir de transition.
La parade militaire de ce lundi sera scrutée. Va-t-elle symboliser le triomphe d’une Syrie enfin réunifiée, ou au contraire révéler les failles d’un pays toujours au bord de l’implosion ?
Une chose est sûre : l’histoire syrienne est loin d’être terminée. Et l’appel à l’unité lancé ce matin depuis la mosquée des Omeyyades résonne comme le début d’un nouveau chapitre, peut-être le plus difficile de tous.
Dans les rues de Damas, beaucoup gardent les yeux rivés sur cet homme en uniforme qui, il y a un an, incarnait la révolution. Aujourd’hui, il porte sur ses épaules le poids immense de la réconciliation. Réussira-t-il là où tant d’autres ont échoué avant lui ? L’année à venir apportera sans doute les premières réponses.









