Imaginez un petit pays d’Amérique du Sud, niché entre la Guyane et le Brésil, où chaque citoyen, des seniors aux jeunes, reçoit directement une part des richesses tirées du sous-sol. Ce n’est pas une utopie, mais une réalité en cours au Suriname, un État qui se prépare à une révolution économique grâce à ses gisements pétroliers. Dès 2028, les revenus de l’or noir devraient transformer ce pays, l’un des rares à absorber plus de CO2 qu’il n’en émet, en un acteur pétrolier majeur. Mais ce qui rend cette histoire captivante, c’est la manière dont le Suriname choisit de partager cette manne : un programme inédit de redistribution directe à sa population.
Un Modèle Inédit de Partage des Richesses
Au cœur de cette initiative se trouve le programme Royalties pour Tous, ou RVI, une idée audacieuse qui vise à redistribuer une partie des futurs revenus pétroliers sous forme de coupons. Ce système, unique en son genre, permet à chaque Surinamais de bénéficier directement de l’exploitation pétrolière. Contrairement à d’autres modèles, comme celui de l’Alaska où les profits d’un fonds souverain sont partagés, le Suriname mise sur un versement conditionné aux royalties pétrolières à venir.
Le président du pays, Chan Santokhi, a lancé ce projet avec une vision claire : « C’est leur part », a-t-il déclaré, soulignant que les richesses du sous-sol appartiennent à tous les citoyens. Ce programme, qui a débuté en mai 2025, cible d’abord les populations les plus vulnérables, comme les seniors et les personnes handicapées, avant de s’étendre progressivement à l’ensemble des 570 000 habitants éligibles.
Comment Fonctionne le Programme RVI ?
Le mécanisme du RVI est aussi simple qu’innovant. Chaque citoyen reçoit un coupon représentant une part des futures royalties pétrolières. Pour les seniors de plus de 80 ans et les personnes handicapées, ces coupons sont immédiatement encaissables, offrant une somme équivalente à 750 dollars. Pour les autres, l’activation des coupons débutera en 2028, lorsque les premières recettes pétrolières arriveront.
« C’est un coupon encaissable si et seulement si l’État reçoit des royalties du pétrole dans le futur. Ça n’existe nulle part ailleurs. »
Pierre Cailleteau, associé-gérant chez Lazard
Les bénéficiaires ont deux options : encaisser immédiatement ou épargner pour accumuler jusqu’à 1 275 dollars avec un intérêt annuel de 7 %. Un bonus de 150 dollars est même prévu pour ceux qui épargnent pendant 10 ans. Ce choix entre dépenser et investir reflète une volonté de responsabiliser les citoyens tout en leur offrant une liberté financière.
- Encaissement immédiat : Idéal pour les besoins urgents, comme l’achat de nourriture ou de biens essentiels.
- Épargne à long terme : Une option pour maximiser les gains avec des intérêts et un bonus.
Une Révolution Pétrolière en Vue
Le Suriname, avec ses 600 000 habitants, est sur le point de devenir un acteur clé du marché pétrolier. Actuellement, le pays produit entre 5 000 et 6 000 barils par jour, mais l’exploitation du gisement offshore de GranMorgu, situé à 150 km des côtes, devrait changer la donne. Avec un investissement de 10,5 milliards de dollars sur quatre ans, porté par un géant pétrolier français et la compagnie publique Staatsolie, la production pourrait atteindre 220 000 barils par jour dès 2028.
Ce boom pétrolier s’accompagne d’un paradoxe environnemental. Le Suriname, souvent qualifié de poumon vert de l’Amérique du Sud grâce à ses forêts primaires, risque de voir son bilan carbone s’alourdir. Pourtant, le pays mise sur une gestion responsable pour équilibrer croissance économique et préservation de son écosystème unique.
| Aspect | Détails |
|---|---|
| Production actuelle | 5 000 à 6 000 barils/jour |
| Production prévue (2028) | 220 000 barils/jour |
| Investissement | 10,5 milliards de dollars |
Les Premiers Bénéficiaires : Seniors et Personnes Handicapées
Les premiers à profiter du programme sont les seniors de plus de 80 ans et les personnes handicapées. Pour eux, les 750 dollars représentent une bouffée d’oxygène dans un pays où un habitant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Naslem Doelsan, une octogénaire, confie vouloir dépenser son argent pour acheter de la bonne nourriture et des produits de première nécessité. « Pourquoi épargner ? Je suis déjà vieille et je veux profiter », explique-t-elle avec pragmatisme.
« Je vais donner de l’argent à ma petite-fille et acheter des cigarettes. »
Jai Abas, 91 ans
À l’inverse, Anuschka Tolud, 38 ans, en fauteuil roulant, préfère épargner pour sécuriser son avenir. Cette diversité de choix illustre la flexibilité du programme, qui s’adapte aux besoins et priorités de chacun. Les banques jouent un rôle clé en avançant les fonds pour les coupons, qu’elles acquièrent en tant que RVI, garantissant ainsi une mise en œuvre fluide.
Les Défis de l’Inclusion
Si le programme RVI est ambitieux, il n’est pas sans défis. Dans un pays où les zones rurales et les communautés indigènes ou marronnes sont souvent isolées, l’accès aux fonds pourrait poser problème. Giovanna Montenegro, chercheuse à l’Université de Binghamton, s’interroge : « Comment les fonds et la bureaucratie seront-ils accessibles aux communautés de l’intérieur ? »
Pour répondre à ce défi, le gouvernement mise sur la transformation numérique. Prewien Ramadhin, responsable de la structure e-gov, explique que les seniors sont enregistrés automatiquement, et les données sont transmises aux banques pour simplifier le retrait des fonds. Cette approche vise à réduire les déplacements et à faciliter l’accès, même dans les zones reculées.
- Enregistrement numérique : Les données des bénéficiaires sont centralisées pour simplifier l’accès.
- Partenariat bancaire : Les banques avancent les fonds et gèrent les retraits.
- Extension progressive : Le programme s’ouvrira aux autres tranches d’âge d’ici 2028.
Un Pari sur l’Avenir
Le programme RVI ne se limite pas à une redistribution monétaire. Il incarne une vision plus large : celle d’un pays qui veut transformer ses ressources naturelles en opportunités pour tous. Cependant, des questions subsistent. Comment le Suriname conciliera-t-il son statut de poumon vert avec l’essor de l’industrie pétrolière ? La gestion des royalties sera-t-elle suffisamment transparente pour éviter les dérives ?
Pour Victorine Moti, conseillère au ministère des Finances, l’objectif est clair : encourager l’épargne pour réorienter les premiers bénéfices vers des investissements durables. « Espérons qu’ils essaieront d’épargner », confie-t-elle, consciente que les choix individuels des citoyens façonneront l’impact du programme.
« Espérons qu’ils essaieront d’épargner et de ne pas encaisser immédiatement. »
Victorine Moti, conseillère pour le programme RVI
Un Modèle Inspirant pour le Monde ?
Le Suriname pourrait-il devenir un modèle pour d’autres pays riches en ressources naturelles ? Ce programme, conçu avec l’aide de la banque Lazard, montre qu’il est possible de redistribuer directement les richesses tout en responsabilisant les citoyens. Pourtant, son succès dépendra de plusieurs facteurs : la capacité à inclure les populations rurales, la transparence dans la gestion des fonds, et l’équilibre entre développement économique et préservation environnementale.
En attendant, les Surinamais, comme Jai Abas, savourent déjà les premiers fruits de cette initiative. Avec ses billets en main, le nonagénaire sourit : « C’est une chance unique. » Pour un pays longtemps marqué par la pauvreté, le programme RVI ouvre une nouvelle page, pleine de promesses mais aussi de défis.
Le Suriname, avec ses forêts vierges et ses ambitions pétrolières, incarne un paradoxe fascinant. Entre développement économique et préservation de son identité verte, ce petit pays pourrait bien redéfinir la gestion des richesses naturelles.
Le programme RVI n’est que le début. À mesure que le Suriname se prépare à devenir un acteur pétrolier, les yeux du monde se tournent vers ce petit État sud-américain. Réussira-t-il à transformer sa manne pétrolière en un modèle de prospérité partagée ? L’avenir nous le dira.
