Imaginez arriver à Roissy ou à Francfort, passer sous un scanner dernier cri… fabriqué en Chine et potentiellement financé par des milliards de subventions illégales. Ce scénario, qui semblait encore abstrait il y a quelques années, vient de prendre une tournure très concrète.
L’Europe déclare la guerre aux subventions chinoises déguisées
Jeudi, la Commission européenne a franchi un cap décisif. Elle a officiellement ouvert une enquête approfondie à l’encontre du géant chinois Nuctech, leader mondial des équipements de sécurité pour aéroports, ports et douanes. L’accusation est lourde : l’entreprise bénéficierait de subventions étrangères massives qui fausseraient complètement la concurrence sur le Vieux Continent.
Ce n’est pas une simple vérification de routine. En avril 2024 déjà, des inspecteurs européens ont effectué des perquisitions surprise dans les bureaux de Nuctech en Pologne et aux Pays-Bas. Les premiers éléments recueillis ont suffi à déclencher l’alerte maximale.
Des subventions sous toutes les formes
Concrètement, Bruxelles pointe du doigt plusieurs mécanismes :
- Des dons directs de l’État chinois
- Des prêts à taux quasi nuls
- Des avantages fiscaux très importants
- Des garanties publiques illimitées
Ces aides permettraient à Nuctech de proposer des prix imbattables lors des appels d’offres européens, écrasant ainsi les concurrents locaux ou américains qui jouent selon les règles classiques du marché.
« Ces subventions étrangères potentielles […] pourraient avoir renforcé la position de Nuctech » au détriment des autres acteurs
Commission européenne, communiqué officiel
Nuctech se défend défend… mollement ?
De son côté, l’entreprise chinoise a réagi avec un communiqué très policé. Elle « prend acte » de la décision et assure vouloir coopérer pleinement. Elle jure fonctionner « de façon indépendante et transparente » et se dit confiante dans « l’intégrité du processus ».
Mais derrière les belles phrases, une réalité plus dure : Nuctech est une filiale à 100 % de Tsinghua Tongfang, elle-même contrôlée par l’État chinois via l’université Tsinghua. Difficile dans ces conditions de parler d’indépendance totale.
Un outil juridique tout neuf et déjà très affûté
Cette enquête marque l’entrée en action concrète du règlement sur les subventions étrangères, adopté en 2023. Ce texte, longtemps réclamé par la France et l’Allemagne, donne enfin à Bruxelles les moyens d’agir contre les distorsions de concurrence causées par des aides publiques hors UE.
Jusqu’à présent, l’Europe pouvait sanctionner les dumping chinois sur l’acier ou les panneaux solaires. Désormais, elle peut s’attaquer directement aux avantages financiers accordés par Pékin à ses champions nationaux.
En clair : si les soupçons sont confirmés avérés, Nuctech pourrait se voir interdire de participer à des appels d’offres publics en Europe pendant plusieurs années, voire être contrainte de rembourser les aides illégales.
La Lituanie avait montré la voie
Déjà en 2021, la Lituanie avait pris une décision radicale : bannir purement et simplement les équipements Nuctech de son territoire pour des raisons de sécurité nationale. Vilnius craignait que ces scanners, installés dans les points stratégiques, ne permettent à Pékin d’espionner ou de collecter des données sensibles.
À l’époque, beaucoup avaient vu dans cette décision une posture politique plus qu’économique. Aujourd’hui, l’enquête européenne donne raison, au moins partiellement, aux autorités lituaniennes.
Pourquoi cette affaire est-elle explosive ?
Parce qu’elle touche à trois sujets ultrasensibles à la fois :
- La sécurité des infrastructures critiques européennes
- La concurrence loyale sur un marché de plusieurs milliards d’euros
- Les relations déjà très tendues entre Bruxelles et Pékin
Nuctech équipe déjà des dizaines d’aéroports et de ports en Europe. Si demain l’entreprise était blacklistée, il faudrait remplacer tout ce matériel en urgence. Un casse-tête logistique et financier colossal.
Et les concurrents dans tout ça ?
Les grands perdants, ce sont les entreprises européennes et américaines qui se battent depuis des années contre les prix cassés de Nuctech. Smiths Detection (britannique), Rapiscan (américain) ou la française Safran ont régulièrement dénoncé une concurrence déloyale.
Aujourd’hui, elles observent l’enquête avec une attention extrême. Une sanction contre Nuctech pourrait enfin rééquilibrer le marché… ou au contraire déclencher une guerre commerciale encore plus dure avec la Chine.
Vers une généralisation des enquêtes ?
Nuctech n’est probablement que la première cible. D’autres géants chinois – dans les télécoms, les véhicules électriques ou les équipements médicaux – pourraient bientôt subir le même sort.
Bruxelles a clairement décidé de passer à l’offensive. Et cette fois, elle dispose d’un arsenal juridique complet pour mener la bataille.
À suivre de très près : l’issue de cette enquête pourrait redessiner complètement la carte de la sécurité aéroportuaire en Europe… et envoyer un message fort à l’ensemble des entreprises chinoises présentes sur le sol européen.
L’Europe a décidé de ne plus se laisser faire. Reste à savoir si elle ira jusqu’au bout.









