Imaginez une entreprise qui perd 60 % de sa valeur boursière en quelques mois et qui, au lieu de paniquer, décide de claquer près d’un milliard de dollars… pour acheter encore plus de Bitcoin. C’est exactement ce qu’a fait Strategy la semaine dernière. Et non, ce n’est pas une blague.
Dans un marché où la plupart des investisseurs auraient vendu la peau de l’ours, Michael Saylor, le patron emblématique, continue de parier tout sur la cryptomonnaie reine. Un pari qui fascine autant qu’il inquiète Wall Street.
Le plus gros achat depuis l’été 2025
Entre le 1er et le 7 décembre 2025, Strategy a acquis 10 624 Bitcoin pour un montant total de 962,7 millions de dollars. C’est l’achat hebdomadaire le plus important depuis juillet dernier. À l’heure où ces lignes sont écrites, l’entreprise détient désormais 660 624 BTC, soit une valeur approximative de 49,35 milliards de dollars au cours actuel.
Pour mettre cela en perspective : cela représente plus de 3 % de l’offre totale de Bitcoin en circulation. Une concentration impressionnante entre les mains d’une seule entreprise cotée.
Et le plus fou ? Le rendement annuel de cet investissement Bitcoin s’élève à 24,7 % rien que pour 2025. Un chiffre qui fait pâlir la majorité des gestionnaires de fonds traditionnels.
Une action en chute libre
Mais pendant que le trésor Bitcoin gonfle, l’action Strategy, elle, s’effondre. En six mois, elle est passée des 400 $ aux alentours des 170-180 $. Une correction brutale de près de 60 % qui place le titre dans une zone de forte résistance technique entre 195 et 215 $.
Les analystes parlent de dead cat bounce avorté, de dilution massive liée aux émissions d’obligations convertibles, et d’un sentiment particulièrement négatif sur le titre. Les shorts se multiplient, avec des figures connues comme Jim Chanos en première ligne.
Pourtant, Michael Saylor reste imperturbable. Il refuse catégoriquement l’idée de vendre ne serait-ce qu’un satoshi pour verser des dividendes ou calmer les actionnaires. Sa phrase favorite ? « Il n’y a pas de plan B. »
Un matelas de cash de 1,44 milliard
Comment fait-il pour tenir ? Grâce à une gestion extrêmement agressive de la trésorerie. Strategy a constitué une réserve de liquidités de 1,44 milliard de dollars. De quoi couvrir les dividendes et les frais opérationnels pendant presque deux ans, même sans vendre un seul Bitcoin.
Cette trésorerie provient principalement des émissions répétées d’obligations convertibles à taux zéro ou très bas. Une technique qui dilue les actionnaires actuels, certes, mais qui permet d’acheter du Bitcoin à prix (relativement) bas tout en conservant la totalité du trésor.
Le cercle vertueux selon Saylor :
- Émettre de la dette à 0 % ou presque
- Acheter du Bitcoin avec cet argent
- Le Bitcoin monte → valeur de l’entreprise monte
- La dette devient convertible en actions à un prix plus élevé → dilution limitée
- Répéter l’opération
Les actions perpétuelles : l’arme secrète à venir ?
Michael Saylor l’a annoncé récemment : les perpetual preferred shares (actions préférentielles perpétuelles) pourraient changer la donne dans les 12 à 24 prochains mois.
L’idée ? Proposer un instrument financier qui verse un dividende attractif (probablement autour de 8-10 %), financé… par la hausse continue du Bitcoin détenu en réserve. Un produit hybride entre obligation et action, réservé aux investisseurs qui veulent un rendement sans prendre le risque plein de l’action ordinaire.
Si ce produit voit le jour et rencontre le succès escompté, il pourrait devenir une nouvelle source massive de capitaux pour continuer les achats de Bitcoin, tout en apaisant une partie des actionnaires mécontents.
La concurrence se réveille enfin
Pendant longtemps, Strategy a été le seul véhicule coté permettant une exposition pure et massive au Bitcoin. Ce temps est révolu.
Les grandes banques américaines comme JPMorgan, Morgan Stanley ou Bank of America lancent désormais leurs propres produits liés au Bitcoin : ETF spot, comptes ségrégués, produits structurés avec protection du capital. Des offres souvent plus rassurantes pour les institutionnels frileux.
À l’international, des entreprises comme la japonaise Metaplanet adoptent exactement la même stratégie : transformer leur trésorerie en Bitcoin. On parle déjà d’un « modèle Metaplanet » qui inspire d’autres sociétés cotées en Asie et en Europe.
« Strategy a ouvert la voie, mais elle n’aura bientôt plus le monopole de l’exposition corporate au Bitcoin. »
Un analyste de Bloomberg Intelligence, décembre 2025
Pourquoi cette stratégie peut encore fonctionner
Premier argument : le Bitcoin continue de monter à long terme. Depuis 2020, Strategy a multiplié par plus de 15 la valeur de son investissement initial. Même avec les corrections, la tendance reste haussière.
Deuxième argument : la prime énorme que les investisseurs étaient prêts à payer pour détenir du Bitcoin « par procuration » via l’action Strategy a disparu. Le titre se traite aujourd’hui avec une décote par rapport à la valeur liquidative du Bitcoin détenu. Cela signifie qu’acheter l’action, c’est acheter du Bitcoin… moins cher que le spot.
Troisième argument : l’effet de réseau. Plus Strategy accumule, plus elle devient un acteur systémique. Vendre 660 000 BTC d’un coup serait impossible sans faire chuter le marché de plusieurs dizaines de pourcents. L’entreprise est devenue too big to fail dans l’écosystème Bitcoin.
Et si le pari échouait ?
Il faut aussi regarder le scénario noir. Si le Bitcoin entrait dans un bear market prolongé (disons sous les 50 000 $ pendant plusieurs années), la valeur du trésor fondrait. La dette, même à taux zéro, devrait être remboursée ou convertie à des prix catastrophiques. L’action pourrait alors tomber sous les 50 $.
Mais Michael Saylor l’a répété des centaines de fois : il ne vendra jamais. Même en cas de crise majeure, la stratégie serait de continuer à émettre de la dette pour acheter encore plus bas. Un pari total, presque messianique.
Dans l’histoire des marchés, les stratégies extrêmes ont parfois créé les plus grandes fortunes… ou les plus grands krachs. Strategy est aujourd’hui à la croisée des chemins.
Une chose est sûre : tant que Michael Saylor sera aux commandes, l’entreprise continuera d’accumuler. Coût moyen d’acquisition ? Autour de 74 000 $ le Bitcoin aujourd’hui. Chaque achat abaisse un peu plus ce coût moyen et renforce la conviction.
En attendant, le monde financier observe, fasciné et terrifié à la fois, cette expérience grandeur nature : peut-on transformer une entreprise technologique des années 90 en la plus grande réserve de valeur numérique privée de la planète ?
La réponse, nous l’aurons probablement dans les cinq à dix prochaines années. D’ici là, une seule certitude : Strategy ne fait rien comme les autres. Et c’est précisément pour ça que l’histoire mérite d’être suivie de très près.









