En pleine guerre contre l’Ukraine, la Russie de Vladimir Poutine est en train d’opérer un revirement idéologique majeur. Alors que Staline, le dictateur soviétique, est progressivement réhabilité, son successeur Boris Eltsine, symbole de l’ouverture à l’Occident dans les années 1990, se voit quant à lui marginalisé. Cette réécriture de l’histoire, encouragée par le sommet de l’État, illustre le tournant conservateur et nationaliste pris par le pays ces dernières années.
L’ouverture d’un Centre Staline, symbole d’une réhabilitation controversée
C’est à Barnaoul, ville de Sibérie du sud située non loin de la Mongolie, qu’a ouvert ses portes en 2017 le Centre Staline. Fondé par d’ardents nostalgiques de l’époque soviétique, ce mini-musée expose fièrement en son centre un buste du dictateur, pesant pas moins de 200 kg. Cette initiative locale reflète une tendance de fond dans la Russie de Poutine : la réhabilitation progressive de Staline, présenté comme un grand dirigeant ayant permis à l’URSS de devenir une superpuissance, en dépit des millions de morts dus à la collectivisation forcée et aux purges.
Notre région a toujours été rouge, à forte tradition communiste
– Sergueï Matassov, cofondateur du Centre Staline
Le Kremlin encourage ce retour en grâce de Staline
Loin d’être un cas isolé, l’ouverture du Centre Staline s’inscrit dans un mouvement plus large de réhabilitation de l’ancien dictateur, activement encouragé par le pouvoir en place. Ainsi, le Kremlin a récemment validé l’utilisation de son effigie lors des commémorations de la victoire contre l’Allemagne nazie. Les manuels scolaires minimisent désormais ses crimes, présentant Staline avant tout comme le chef de guerre ayant permis à l’URSS de l’emporter.
L’image de Staline est associée à notre triomphe dans la Seconde Guerre mondiale
– Nikolaï Kopossov, historien russe
Le Centre Eltsine, vestige libéral dans l’œil du cyclone
À l’opposé du spectre politique, le Centre Eltsine d’Ekaterinbourg apparaît de plus en plus comme un vestige d’une autre époque. Créé en 2015 pour célébrer l’héritage du premier président russe, chantre d’une transition démocratique et d’un rapprochement avec l’Occident, il est aujourd’hui dans le collimateur des autorités. Son financement public a été drastiquement réduit et son avenir semble plus qu’incertain dans un pays qui tourne résolument le dos aux idéaux des années 1990.
Poutine promeut un récit national centré sur la puissance
En réhabilitant Staline tout en marginalisant Eltsine, Vladimir Poutine cherche à façonner un nouveau roman national centré sur l’affirmation de la puissance russe. Dans cette relecture de l’histoire, l’URSS stalinienne est magnifiée pour sa capacité à rivaliser avec l’Occident, tandis que les années Eltsine sont dépeintes comme une période d’affaiblissement et d’humiliation. Une réécriture mémorielle au service d’une politique étrangère de plus en plus agressive, comme l’illustre tragiquement la guerre en Ukraine.
Alors que le conflit fait rage, la Russie de Poutine semble plus que jamais déterminée à promouvoir une vision conservatrice et nationaliste de son passé. En réhabilitant Staline et en marginalisant Eltsine, le pouvoir cherche à légitimer sa quête de grandeur sur la scène internationale. Une démarche qui inquiète ceux qui, en Russie et ailleurs, restent attachés aux idéaux démocratiques portés dans les années 1990.