Imaginez un monde où vos euros dorment tranquillement sur votre compte bancaire… et où, du jour au lendemain, des millions de personnes décident de les convertir en cryptomonnaies « stables ». Ce scénario, qui peut sembler lointain, préoccupe déjà la Banque centrale européenne. L’institution vient de publier une analyse sans concession sur les stablecoins et leurs conséquences possibles sur la stabilité financière de la zone euro.
Les stablecoins : une menace encore contenue… mais explosive
Pour l’instant, le constat est plutôt rassurant. Les stablecoins restent très peu utilisés pour des paiements réels en Europe. Aucun mouvement massif de retraits des dépôts bancaires n’a été observé. Autrement dit, votre compte courant n’a pas encore été vidé au profit de Tether ou d’USDC.
Mais la BCE refuse de s’endormir sur ces lauriers. Sa phrase clé résonne comme un avertissement : « leur croissance rapide et leur adoption possible dans de nouveaux usages pourraient introduire des risques pour la stabilité financière à l’avenir ».
Qu’est-ce qu’un stablecoin, exactement ?
Pour ceux qui découvriraient le concept, un stablecoin est une cryptomonnaie conçue pour garder une valeur stable. La plupart sont indexés sur le dollar américain (1 token = 1 dollar). Les deux géants du marché s’appellent Tether (USDT) et USD Coin (USDC). Ils promettent des paiements instantanés, peu coûteux et disponibles 24 h/24, partout dans le monde.
Leur capitalisation totale dépasse aujourd’hui les 280 milliards de dollars. Cela représente environ 8 % de l’ensemble du marché crypto. Un chiffre impressionnant quand on sait que ces actifs n’existaient pratiquement pas il y a cinq ans.
Pourquoi la BCE commence-t-elle à s’inquiéter ?
Le scénario noir est simple à comprendre. Si les ménages européens se mettaient à transférer massivement une partie de leurs dépôts bancaires vers des stablecoins, les banques perdraient une source de financement essentielle, stable et peu coûteuse.
À la place, elles devraient se tourner vers des financements de marché plus volatils et plus chers. En période de stress, cela pourrait déclencher une crise de liquidité bancaire. Un effet domino que personne ne souhaite revivre après 2008.
« Cela réduirait une source clé de financement pour les banques et les laisserait dépendantes de ressources plus volatiles »
Banque centrale européenne, novembre 2025
L’Europe à la traîne : seulement 1 % des stablecoins sont en euros
Autre point qui agace Francfort : la quasi-totalité des stablecoins sont adossés au dollar. Les versions euro représentent à peine 1 % de la capitalisation totale. Résultat, même en zone euro, c’est le dollar numérique qui domine.
Cette dollarisation de facto des paiements crypto pose un problème de souveraineté monétaire. La BCE le sait et travaille sur son euro numérique pour reprendre la main. Mais en attendant, le terrain est largement occupé par des acteurs privés américains.
MiCAR et l’effet Trump : deux accélérateurs inattendus
Paradoxalement, la régulation a boosté le marché. Le règlement européen MiCAR, entré en vigueur progressivement depuis 2024, a apporté de la clarté juridique. Aux États-Unis, les annonces favorables de la nouvelle administration Trump (notamment le projet « Genius Act ») ont également rassuré les investisseurs.
Conséquence : la demande explose. Les émetteurs sérieux sortent renforcés, les institutionnels entrent en masse, et la capitalisation continue de grimper à toute vitesse.
À retenir : plus de cadre légal = plus de confiance = plus d’argent qui entre sur le marché des stablecoins.
Le risque de « run » transfrontalier
Voici peut-être le point le plus technique, mais aussi le plus inquiétant. De nombreux stablecoins sont émis simultanément en Europe (sous MiCAR) et hors Europe (souvent aux Îles Caïmans ou aux Seychelles).
Problème : les réserves européennes, encadrées et limitées, pourraient ne pas suffire si tous les détenteurs mondiaux réclamaient leur remboursement en même temps. Un « bank run » numérique à l’échelle planétaire, avec l’Europe qui ferait les frais d’une panique déclenchée ailleurs.
La BCE le dit clairement : cela justifie des mesures de protection supplémentaires avant tout accès complet au marché européen.
Vers une surveillance renforcée
En conclusion, l’institution européenne adopte une position équilibrée : pas d’affolement immédiat, mais une vigilance de tous les instants. La surveillance va donc s’intensifier dans les trimestres à venir.
Les régulateurs étudieront particulièrement les liens entre stablecoins et dépôts bancaires, les réserves réelles des émetteurs, et les scénarios de stress transfrontaliers.
Le message est clair : les stablecoins ne sont plus une curiosité de geeks. Ils sont devenus un phénomène macro-financier qu’il serait dangereux d’ignorer.
Et vous, que faut-il en penser ?
Pour le particulier, les stablecoins restent un outil pratique pour trader ou transférer de l’argent rapidement. Pour l’instant, rien ne justifie de vider son compte courant.
Mais l’alerte de la BCE rappelle une vérité simple : quand des centaines de milliards peuvent bouger en quelques clics, même les actifs « stables » peuvent créer des vagues gigantesques.
La suite dépendra de trois facteurs : l’adoption réelle par le grand public, la solidité des réserves des émetteurs, et la capacité des régulateurs à anticiper les risques systémiques.
Une chose est sûre : le sujet n’a pas fini de faire parler. Et la prochaine alerte de la BCE pourrait bien être moins nuancée que celle-ci.
Les stablecoins sont-ils le cheval de Troie du système bancaire européen ?
La réponse dans les prochains mois risque de bouleverser bien des certitudes.









