Il y a trente ans, l’horreur s’abattait sur Srebrenica, une petite ville de l’est de la Bosnie. En juillet 1995, dans une enclave proclamée zone protégée par l’ONU, environ 8 000 hommes et adolescents bosniaques ont été massacrés en quelques jours par les forces serbes de Bosnie. Ce génocide, l’un des pires crimes commis en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, continue de hanter les survivants et de diviser les mémoires. Alors que la Bosnie se prépare à commémorer cet événement tragique, les familles des victimes cherchent encore des réponses, des restes, et un semblant de paix.
Srebrenica : un massacre gravé dans l’histoire
Le conflit bosnien (1992-1995), né de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, a opposé Bosniaques musulmans, Croates catholiques et Serbes orthodoxes dans une guerre fratricide. Srebrenica, située près de la frontière serbe, est devenue le symbole de cette violence. Assiégée pendant plus de trois ans, l’enclave était censée être un refuge sous protection internationale. Pourtant, en juillet 1995, les forces serbes dirigées par le général Ratko Mladic ont envahi la ville, défiant les casques bleus de l’ONU. Ce qui a suivi reste une plaie ouverte dans l’histoire européenne.
En quelques jours, environ 8 000 hommes et adolescents ont été systématiquement exécutés. Leurs corps, jetés dans des fosses communes, ont ensuite été déplacés pour dissimuler l’ampleur du crime. Aujourd’hui, les efforts pour identifier les victimes se poursuivent, mais près de 1 000 personnes manquent encore à l’appel. Ce drame, qualifié de génocide par la justice internationale, soulève des questions sur la responsabilité collective et la mémoire des atrocités.
Une douleur qui ne s’efface pas
Pour les survivants, chaque jour est une lutte contre le chagrin. Munira Subasic, présidente de l’association des mères de Srebrenica, exprime cette souffrance avec des mots qui résonnent :
Depuis trente ans, nous portons la douleur dans nos âmes. Nos enfants ont été tués innocents dans une zone protégée. L’Europe et le monde ont observé, muets, la tuerie de nos enfants.
Munira Subasic
Son mari, Hilmo, et son fils, Nermin, âgé de seulement 17 ans, font partie des victimes. Comme elle, des milliers de familles attendent encore de pouvoir faire leur deuil. Lors des commémorations annuelles au Centre mémorial de Srebrenica-Potocari, sept nouvelles victimes seront inhumées cette année, dont deux jeunes hommes de 19 ans et une femme de 67 ans. Mais pour beaucoup, les restes retrouvés sont incomplets, parfois réduits à un ou deux os.
Cette réalité cruelle rend le processus de deuil encore plus difficile. Mevlida Omerovic, 55 ans, a choisi d’enterrer la mâchoire de son mari Hasib, tué à 33 ans, pour pouvoir enfin se recueillir sur une tombe. « Trente années sont passées, et je n’ai plus rien à attendre », confie-t-elle, résignée mais déterminée à offrir une sépulture à son époux.
Un crime dissimulé, une vérité fragmentée
Les forces serbes de Bosnie ont tenté d’effacer leurs traces après le massacre. Les corps des victimes, souvent mutilés par des engins lourds, ont été déplacés vers des fosses communes secondaires. Selon Emza Fazlic, porte-parole de l’Institut bosnien pour les personnes disparues, environ 80 % des victimes ont été retrouvées et identifiées. Cependant, la recherche des 1 000 personnes manquantes reste une tâche ardue, marquée par la lenteur et l’incertitude.
Le massacre de Srebrenica ne se limite pas aux hommes. Une centaine de femmes, dont 80 sont toujours portées disparues, ont également été tuées. Ces chiffres rappellent l’ampleur d’un crime qui a visé une communauté entière. Les efforts pour localiser et identifier les restes impliquent des technologies avancées, mais aussi une volonté politique qui, parfois, fait défaut.
Faits marquants du massacre :
- Environ 8 000 victimes, principalement des hommes et adolescents.
- Exécutions dans cinq lieux, dont Petkovci, où 1 000 personnes ont été tuées.
- Corps déplacés vers des fosses secondaires pour dissimuler le crime.
- 80 % des victimes identifiées, 1 000 toujours recherchées.
La justice internationale face à l’histoire
Le massacre de Srebrenica est le seul épisode du conflit bosnien officiellement reconnu comme un génocide par la justice internationale. Les anciens dirigeants serbes de Bosnie, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, ont été condamnés à la prison à vie pour crimes de guerre et génocide. Ces jugements, rendus par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, ont marqué un tournant dans la reconnaissance des responsabilités.
Pourtant, la vérité reste contestée. Milorad Dodik, président de l’entité serbe de Bosnie, a récemment déclaré : « Les Serbes n’ont pas commis de génocide à Srebrenica, et il n’a pas eu lieu. » Ces propos, qui minimisent l’ampleur du crime, ravivent la douleur des survivants et compliquent la réconciliation. Ils témoignent d’une fracture mémorielle profonde entre les communautés bosniennes.
Une mémoire disputée, un deuil inachevé
La commémoration de Srebrenica ne se limite pas à une cérémonie annuelle. Elle est un acte de résistance contre l’oubli et le déni. En 2024, l’Assemblée générale de l’ONU a instauré le 11 juillet comme Journée internationale de commémoration du génocide de Srebrenica, malgré l’opposition de la Serbie. Cette reconnaissance internationale est une victoire pour les familles, mais elle ne comble pas le vide laissé par les pertes.
Pour moi, chaque jour est le 11 juillet, chaque nuit, chaque matin, quand je me lève et réalise qu’ils ne sont pas là.
Ramiza Gurdic, survivante
Ramiza Gurdic, qui a perdu son mari Junuz et ses fils Mehrudin et Mustafa, incarne cette douleur permanente. Pour elle, comme pour beaucoup, le deuil est un fardeau quotidien. Les commémorations, bien qu’essentielles, ne suffisent pas à apaiser les blessures d’un passé encore si présent.
Vers une réconciliation possible ?
Trente ans après, la Bosnie reste une nation divisée. Les tensions entre communautés persistent, alimentées par des discours nationalistes et des récits divergents sur le passé. Pourtant, des initiatives locales et internationales tentent de construire des ponts. Les associations de victimes, comme celle des mères de Srebrenica, jouent un rôle clé en maintenant la mémoire vive et en plaidant pour la justice.
Les efforts pour identifier les victimes, bien que lents, sont un pas vers la vérité. Chaque os retrouvé, chaque nom gravé sur une stèle, est une reconnaissance de l’humanité des disparus. Mais pour que la réconciliation devienne possible, il faudra davantage qu’une justice internationale ou des commémorations. Il faudra un dialogue honnête, une reconnaissance mutuelle des souffrances, et un effort collectif pour surmonter les divisions.
Événement | Détails |
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Massacre de Srebrenica | Juillet 1995, environ 8 000 morts en quelques jours. |
Condamnations | Karadzic et Mladic condamnés à perpétuité. |
Commémorations 2025 | Inhumation de sept victimes à Srebrenica-Potocari. |
Le génocide de Srebrenica reste un rappel brutal de ce que l’humanité peut infliger à elle-même. Trente ans après, les survivants continuent de chercher leurs proches, de réclamer justice, et de lutter contre l’oubli. Leur résilience est une leçon de courage, mais aussi un appel à ne jamais détourner le regard face à l’injustice.
Alors que la Bosnie se réunit pour honorer ses morts, une question demeure : comment construire un avenir commun quand le passé divise encore ? La réponse, si elle existe, réside peut-être dans la mémoire, la vérité, et un effort collectif pour panser les plaies d’une nation fracturée.