En dépit des turbulences politiques et économiques qui secouent actuellement l’Allemagne, l’agence de notation Standard & Poor’s (S&P) continue de lui accorder sa confiance. Dans son dernier communiqué sur le pays, publié quelques jours après la chute de la coalition d’Olaf Scholz, S&P souligne que « dans l’ensemble, les indicateurs de crédit de l’Allemagne demeurent solides ».
L’agence met en avant la solidité institutionnelle du pays, son profil économique et extérieur, ainsi que sa flexibilité monétaire. Résultat : Berlin conserve sa très convoitée note AAA. Et ce, malgré une dette publique qui devrait atteindre 63% du PIB en fin d’année selon les prévisions de la Commission européenne, et des charges d’intérêt sur les recettes parmi les plus faibles du G7.
L’Allemagne incitée à dépenser malgré la récession
Mais l’agence ne s’arrête pas là. Estimant que « la probabilité de récession en Allemagne a fortement augmenté », S&P n’hésite pas à presser Berlin de dépenser davantage pour soutenir son économie. « Nous pensons que des mesures budgétaires expansionnistes seront nécessaires à court terme », indique-t-elle, tout en se voulant rassurante : « le cadre budgétaire allemand offre une marge de manœuvre suffisante pour de telles mesures ».
Un avis tranché qui contraste avec les recommandations adressées à la France. Mi-novembre, S&P avait en effet maintenu la note AA de l’Hexagone, mais en l’assortissant d’une perspective négative. L’agence avait alors exhorté Paris à accélérer ses efforts pour réduire son déficit et sa dette, mettant en garde contre « une erosion graduelle de la qualité de crédit » du pays.
Deux poids, deux mesures ?
Cette différence de traitement interroge. Comment expliquer que S&P presse la France de se serrer la ceinture, tout en incitant l’Allemagne à ouvrir les vannes budgétaires ? Selon certains analystes, l’agence ferait preuve de deux poids deux mesures, en raison notamment de la réputation de rigueur budgétaire de l’Allemagne.
« Il y a clairement un biais en faveur de l’Allemagne. Son ‘sérieux budgétaire’ lui offre un bonus de crédibilité aux yeux des agences de notation, quand bien même la situation économique se dégrade.»
Analyse un économiste interrogé par nos soins
Cette confiance pourrait toutefois être mise à l’épreuve dans les mois à venir. Avec la chute du gouvernement d’Olaf Scholz, de nouvelles élections sont prévues outre-Rhin. Et la campagne s’annonce d’ores et déjà centré sur les questions budgétaires et fiscales.
Vers un assouplissement de la politique budgétaire allemande ?
Plusieurs partis, dont les Verts et la gauche radicale de Die Linke, militent pour un assouplissement des règles budgétaires afin de pouvoir investir massivement dans la transition énergétique et la relance de l’économie. Une perspective qui inquiète la frange la plus conservatrice de la classe politique allemande, très attachée à l’orthodoxie budgétaire.
Mais après des années de crispation politique sur la question des déficits, un consensus semble émerger sur la nécessité d’une politique budgétaire plus souple pour faire face aux défis économiques et climatiques. Comme le souligne S&P, « le prochain gouvernement à Berlin pourrait être plus enclin à utiliser la marge de manœuvre budgétaire pour investir » dans un pays en récession.
Un changement de cap qui serait une petite révolution outre-Rhin. Et qui pourrait, à terme, inciter les agences de notation à revoir leur jugement sur la France. Car si même l’Allemagne, ce parangon de rigueur, s’autorise des écarts budgétaires, comment justifier de maintenir la pression sur Paris ?
La question mérite d’être posée, alors que la France s’apprête elle aussi à entrer en récession en 2023 selon les dernières prévisions. Dans ce contexte, maintenir le cap de la consolidation budgétaire à marche forcée pourrait se révéler contre-productif et aggraver la situation économique et sociale. Un constat que les agences de notation finiront peut-être par faire… Même si pour l’heure, le « deux poids deux mesures » semble toujours de mise.