Dans les ruelles animées de Damas, un vent nouveau souffle sur les échoppes de téléphonie. Après des années de terreur sous le joug du régime Assad, les commerçants retrouvent enfin le goût de la liberté. Une liberté chèrement acquise, au prix de lourds sacrifices. Plongée dans le quotidien bouleversé de ces Syriens ordinaires, longtemps broyés par la machine répressive du pouvoir déchu.
La fin d’un monopole écrasant
Jusqu’à récemment, vendre un téléphone en Syrie relevait du parcours du combattant. Les forces de sécurité, à la solde du régime, imposaient leurs lois. Malheur à celui qui osait proposer un appareil dépourvu du logo d’Emmatel, société liée à l’entourage d’Assad. Perquisitions musclées, arrestations arbitraires, les témoignages glaçants affluent.
S’ils trouvaient un appareil sans le logo d’Emmatel, ils confisquaient tout. Ils m’accusaient de ne pas travailler avec eux, alors ils m’ont mis en prison pendant 101 jours.
Abdel Razzaq Hamra, commerçant damascène
Cette entreprise, fondée par Khodr Taher, homme d’affaires proche du clan Assad, jouissait d’un monopole écrasant. Sanctions américaines, liens troubles avec l’armée, rien n’y faisait. Emmatel régnait en maître, au détriment des petits commerçants étranglés.
Des commerçants poussés à la faillite
Nombreux sont ceux qui ont dû mettre la clé sous la porte, incapables de survivre aux descentes répétées et aux extorsions en tout genre. Moustafa Khalayli a ainsi perdu son commerce, qui employait cinq personnes, après un an de détention. 40 000 dollars de marchandises parties en fumée lors des raids successifs.
Chaque jour, je partais travailler en embrassant ma famille comme si c’était la dernière fois. Nous risquions tout le temps d’être arrêtés pour un téléphone.
Moustafa Khalayli, ancien commerçant
Même les plus grandes enseignes ont dû baisser le rideau ou réduire drastiquement leur activité, face à la toute-puissance d’Emmatel. Une situation intenable, symptôme d’un régime prêt à tout pour servir ses intérêts et ceux de ses affidés.
La Branche 215, bras armé de la répression
Derrière cette chape de plomb, un nom revient en boucle : la Branche 215. Ce service de renseignement militaire, tristement célèbre pour ses méthodes expéditives, servait de gardes chiourmes à Emmatel. Khodr Taher, l’homme fort de la société, y avait ses entrées.
La Branche 215, c’était plus une bande, une mafia qu’autre chose.
Mohamed al-Malhas, commerçant
Des miliciens aux ordres, surnommés « chabihas », terrorisaient également les commerces récalcitrants. Un système bien rodé, qui ne laissait aucune chance aux indépendants. Seuls ceux capables de graisser la patte aux forces de sécurité pouvaient espérer rester à flot.
L’espoir d’un nouveau départ
Avec la chute du régime Assad, début décembre, les langues se délient. Au moins un magasin Emmatel a été pillé, tandis que d’autres ont baissé le rideau. Un vent de liberté souffle sur les échoppes de Damas. Mais les séquelles restent profondes.
Avant, vendre des téléphones était comme commettre un crime grave. Personne n’osait acheter quoi que ce soit qui n’avait pas le logo d’Emma Tel. Maintenant, grâce à Dieu, c’est fini.
Mohammad Gemmo, commerçant
Des récits poignants, qui en disent long sur le climat de terreur instauré par le clan Assad. Des petits commerçants aux grandes enseignes, personne n’était à l’abri. Aujourd’hui, l’heure est à la reconstruction, avec l’espoir de tourner définitivement la page de ces années noires.
La Syrie retrouvera-t-elle un jour une économie saine et diversifiée ? Le chemin sera long et semé d’embûches. Mais dans les ruelles de Damas, un vent d’optimisme se lève. L’optimisme de ceux qui ont tout perdu, et qui aspirent désormais à des lendemains meilleurs. Loin de l’arbitraire et de la prédation.