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Soudan : Restaurer la Dignité des Morts à Khartoum

À Khartoum, des familles déterrent leurs proches pour leur offrir une sépulture digne. Un travail émouvant pour panser les plaies de la guerre. Que reste-t-il à reconstruire ?

Dans un quartier du sud de Khartoum, le silence est presque palpable. Sous un soleil brûlant, des membres du Croissant-Rouge soudanais travaillent avec une délicatesse empreinte de respect. Ils déterrent des corps inhumés à la hâte, vestiges d’une guerre qui a déchiré la capitale jusqu’au début de l’année. Ces sépultures, souvent marquées par des bouts de bois ou des briques, racontent une histoire de deuil précipité, de familles contraintes d’enterrer leurs proches dans des lieux improbables : places publiques, devant des maisons ou près des mosquées. Aujourd’hui, alors que la ville reprend vie, un poignant travail de mémoire commence.

Un Deuil Inachevé dans une Ville Meurtrie

Le conflit qui oppose depuis avril 2023 les Forces de soutien rapide (FSR) à l’armée soudanaise a transformé Khartoum en champ de bataille. Les affrontements, particulièrement violents dans les zones urbaines densément peuplées, ont laissé derrière eux des cicatrices profondes. Les infrastructures médicales, détruites ou inaccessibles, n’ont pas permis de soigner les blessés ni de recenser les morts avec précision. Dans ce chaos, des familles ont dû improviser des tombes, souvent sans cérémonie, pour offrir un semblant de repos à leurs proches.

Le quartier d’al-Azhari, au sud de la capitale, incarne cette réalité. Ici, 317 tombes ont été recensées, chacune marquant le décès d’un civil inhumé dans l’urgence. Des objets du quotidien – planches, pierres, panneaux – servent de repères pour ces sépultures improvisées. Depuis que l’armée a repris le contrôle de la ville en mars, un effort collectif, porté par le Croissant-Rouge et l’autorité de médecine légale, vise à redonner une dignité à ces défunts.

Un Travail Méticuleux pour Honorer les Morts

Dans le quartier d’al-Azhari, le travail d’exhumation est aussi méthodique que solennel. Chaque corps est soigneusement désinfecté, enveloppé dans un linceul, étiqueté, puis transporté vers le cimetière d’Al-Andalous, situé à une dizaine de kilomètres. Ce processus, bien que douloureux pour les familles, est perçu comme une étape nécessaire pour clore un chapitre marqué par la précipitation et la peur.

« Ma fille est morte alors qu’elle allait acheter des chaussures. Nous n’avions nulle part où l’enterrer, sauf ici, dans le quartier. »

Jawaher Adam, mère endeuillée

Jawaher Adam, une mère de famille, incarne ce mélange de chagrin et de résilience. Sa fille, âgée de seulement 12 ans, a perdu la vie dans des circonstances tragiques. Incapable de lui offrir une sépulture décente à l’époque, elle participe aujourd’hui à ce rituel d’exhumation, priant pour que sa mémoire soit honorée. Comme elle, des dizaines de proches se rassemblent autour des tombes, murmurant des prières tandis qu’une pelleteuse retourne la terre.

L’ampleur d’une Tragédie Méconnue

Le conflit au Soudan a engendré une crise humanitaire d’une ampleur colossale. Selon des estimations, environ 150 000 personnes auraient perdu la vie rien que durant la première année des hostilités. Cependant, l’absence d’infrastructures médicales et administratives rend difficile l’établissement d’un bilan précis. À Khartoum, des fosses communes similaires à celles d’al-Azhari ont été découvertes dans plusieurs quartiers, révélant l’ampleur des inhumations informelles.

À ce jour, environ 2 000 corps ont été exhumés et réinhumés dans des cimetières officiels. Mais les autorités estiment que ce chiffre pourrait atteindre 10 000 à travers la capitale. Le Comité international de la Croix-Rouge, de son côté, recense 8 000 disparus pour la seule année dernière, un nombre qui ne reflète qu’une fraction de la réalité.

« Ces chiffres ne sont que la partie émergée de l’iceberg », avertit le Comité international de la Croix-Rouge, soulignant l’ampleur des pertes humaines encore non documentées.

Un Signe d’Espoir pour l’Avenir

Pour les habitants d’al-Azhari, ces exhumations ne sont pas seulement un acte de mémoire, mais aussi un symbole de renouveau. Le terrain où reposaient ces tombes, initialement destiné à accueillir une école, pourra bientôt retrouver sa vocation première. « La présence de ces restes empêchait la construction d’écoles », explique Youssef Mohamed al-Amin, chef du village de Jebel Awliya. Ce transfert des corps marque ainsi une étape vers la reconstruction d’une ville dévastée.

Khartoum, qui abritait près de neuf millions d’habitants avant le conflit, a vu plus de 3,5 millions de personnes fuir les combats. L’ONU prévoit le retour de plus de deux millions d’entre elles d’ici la fin de l’année, à condition que la sécurité et les infrastructures s’améliorent. Cependant, la destruction massive des hôpitaux, des centrales électriques et des réseaux d’eau potable complique cette transition.

Les Défis de la Reconstruction

La guerre a laissé Khartoum dans un état de délabrement profond. Les services de base, comme l’accès à l’eau potable, à l’électricité ou aux soins médicaux, restent limités dans de nombreux quartiers. Les écoles, les hôpitaux et les aéroports, autrefois piliers de la vie urbaine, sont en grande partie hors service. Cette situation fragilise les espoirs de retour pour les déplacés et complique la reprise économique et sociale.

Pourtant, des initiatives comme celle du Croissant-Rouge apportent une lueur d’espoir. En rendant leur dignité aux défunts, les habitants de Khartoum tentent de panser leurs blessures collectives. Ce travail, bien que douloureux, symbolise un pas vers la guérison d’une société fracturée par des années de violence.

Aspect Chiffres Clés
Tombes recensées à al-Azhari 317
Corps réinhumés à Khartoum 2 000
Estimation des corps inhumés informellement 10 000
Disparus recensés en 2024 8 000
Déplacés de Khartoum 3,5 millions

Vers une Renaissance de Khartoum ?

Alors que la guerre se poursuit dans des régions comme le Darfour occidental et le Kordofan-Sud, Khartoum tente de se relever. Les efforts pour exhumer et réinhumer les corps ne sont qu’une facette d’un processus de reconstruction plus vaste. Restaurer les infrastructures, rouvrir les écoles et garantir la sécurité sont des défis colossaux, mais essentiels pour permettre à la ville de renouer avec son passé de carrefour culturel et économique.

Les habitants, malgré leur douleur, trouvent dans ces initiatives une forme de résilience. En honorant leurs morts, ils posent les bases d’un avenir où la mémoire des victimes ne sera pas oubliée. Ce travail, aussi difficile soit-il, incarne l’espoir d’une société qui refuse de se laisser définir par la guerre.

Le chemin est encore long. Les familles d’al-Azhari, comme celles de nombreux autres quartiers, continuent de naviguer entre deuil et reconstruction. Mais chaque corps réinhumé, chaque prière murmurée, est un pas vers la dignité retrouvée, pour les morts comme pour les vivants.

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