Une détonation sourde déchire le silence d’El-Obeid. Puis une colonne de fumée noire s’élève au-dessus de la ville, là où se trouve le quartier général de la 5e division d’infanterie. Nous sommes mardi, au cœur du Kordofan-Nord, et la guerre qui ravage le Soudan depuis vingt mois vient de franchir un nouveau palier d’intensité.
Le sud pétrolier devient le nouvel enfer du Soudan
Depuis la chute d’El-Fasher fin octobre, dernier bastion militaire au Darfour, les Forces de soutien rapide (FSR) n’ont plus qu’un objectif : s’emparer des régions riches en pétrole. Et elles avancent vite. Trop vite pour une armée régulière déjà épuisée par des mois de combats acharnés.
El-Obeid sous le feu des drones
Dans la capitale régionale du Kordofan-Nord, la population retient son souffle. Un habitant, qui a requis l’anonymat par peur des représailles, raconte :
« J’ai vu la fumée noire monter juste après l’explosion. Tout le monde savait que c’était la base de la 5e division qui était visée. »
Un autre témoin parle d’un bruit assourdissant suivi d’un nuage de poussière et de débris. L’aéroport militaire et l’axe routier stratégique qui relie Khartoum au Darfour passent désormais sous menace directe.
Située à environ 400 kilomètres au sud-ouest de la capitale, El-Obeid n’est pas seulement une ville de garnison. C’est un nœud logistique vital. Perdre cette position couperait l’armée de ses lignes d’approvisionnement vers l’ouest du pays.
Babanousa : la bataille des images
Plus au sud-ouest, à nouveau 400 kilomètres plus loin, la petite ville de Babanousa est devenue le théâtre d’une guerre de communication aussi brutale que les combats eux-mêmes.
Mardi, les FSR ont publié des vidéos montrant leurs combattants circulant librement à l’intérieur de ce qu’elles présentent comme le quartier général de la 22e division d’infanterie. On y voit des drapeaux paramilitaires flotter sur les bâtiments, des véhicules blindés abandonnés, des soldats en treillis beige célébrant leur prise.
Réponse immédiate de l’état-major : démenti catégorique. L’armée affirme avoir repoussé une attaque la veille et assure que Babanousa reste sous son contrôle. Mais dans ce genre de conflit, les images pèsent souvent plus lourd que les communiqués officiels.
Un cessez-le-feu qui n’existe que sur le papier
Le chef des FSR, Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemedti », avait pourtant annoncé un cessez-le-feu unilatéral il y a quelques semaines. Promesse vite oubliée. L’armée accuse les paramilitaires de multiplier les frappes de drones et les bombardements d’artillerie sans la moindre retenue.
Et pour cause : chaque kilomètre carré gagné dans le Kordofan rapproche les FSR des champs pétrolifères du sud. Une ressource vitale pour financer la guerre, mais aussi pour peser dans d’éventuelles négociations futures.
Le Kordofan, presque grand comme la France, champ de bataille total
Cette région immense, à peine plus petite que l’Hexagone, concentre aujourd’hui tous les enjeux du conflit. Routes stratégiques, bases aériennes, réserves de pétrole : tout s’y joue.
L’armée tente désespérément de maintenir une ligne de défense le long de l’axe Khartoum-Darfour. Mais avec la perte progressive du contrôle à l’ouest, chaque nouvelle percée des FSR menace de disloquer complètement le dispositif militaire.
Sur le terrain, la population paie le prix fort. Déplacements forcés, pénuries, peur permanente. Ceux qui le peuvent fuient vers le nord ou tentent de rejoindre le Soudan du Sud voisin.
Un conflit qui s’enlise, une diplomatie au point mort
Sur le plan international, les initiatives peinent à décoller. Le mois dernier, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a appelé le président américain Donald Trump à s’impliquer davantage. Promesse de paix en retour, mais pour l’instant, rien de concret n’en est sorti.
Les appels à un cessez-le-feu se multiplient pourtant, surtout depuis les exactions commises au Darfour après la prise d’El-Fasher : massacres ethniques, violences sexuelles à grande échelle, pillages systématiques. Des crimes qui ont choqué la communauté internationale mais n’ont pas suffi à faire bouger les lignes.
Au rythme actuel, le sud pétrolier pourrait basculer en quelques semaines. Et avec lui, peut-être l’issue entière de cette guerre fratricide qui déchire le Soudan depuis avril 2023.
Dans les ruines fumantes d’El-Obeid et de Babanousa, une seule certitude : tant que le pétrole coulera sous cette terre brûlée, la paix restera un mirage.









