Imaginez une classe de maternelle ordinaire. Des rires d’enfants de cinq ou six ans, des dessins aux murs, des petits bureaux colorés. Et puis, en quelques secondes, le ciel qui s’effondre sous l’explosion d’un drone. C’est ce qui s’est passé jeudi à Kalogi, dans le sud du Kordofan, au Soudan.
Des dizaines de civils, dont une majorité d’enfants, ont été tués dans trois frappes successives attribuées aux Forces de soutien rapide (FSR). L’école maternelle d’abord, l’hôpital ensuite, puis les secouristes venus porter assistance. Une scène d’une cruauté difficilement imaginable.
Kalogi, nouveau symbole d’une guerre sans limites
La petite ville de Kalogi, contrôlée par l’armée soudanaise, se trouve au cœur d’une région stratégique : le Kordofan. Riche en terres agricoles, en gisements d’or et en installations pétrolières, cette zone est devenue l’un des enjeux majeurs du conflit qui déchire le pays depuis avril 2023.
Jeudi matin, trois drones ont survolé la ville. Le premier a frappé l’école maternelle en pleine journée. Le second a visé l’hôpital où les blessés étaient transportés. Le troisième a délibérément ciblé les sauveteurs et les familles accourues sur place.
Le bilan, encore provisoire, est terrifiant. Un responsable local parle de 79 morts, dont 40 enfants. L’UNICEF a confirmé la mort d’au moins dix enfants âgés de cinq à sept ans. L’Union africaine, elle, évoque plus de 100 victimes au total.
« Tuer des enfants dans leur école est une violation horrible des droits de l’enfant »
Sheldon Yett, représentant de l’UNICEF au Soudan
Une guerre qui ne connaît plus de lignes rouges
Depuis bientôt deux ans, l’armée dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapide du général Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemedti », s’affrontent dans une lutte sans merci pour le contrôle du pays.
Ce qui avait commencé comme un conflit de pouvoir s’est transformé en une guerre totale où les civils paient le prix le plus lourd. Massacres ethniques au Darfour, bombardements indiscriminés, viols utilisés comme arme de guerre, recrutement forcé d’enfants… les rapports internationaux se succèdent et se ressemblent.
L’attaque de Kalogi n’est malheureusement pas un incident isolé. Elle s’inscrit dans une escalade particulièrement brutale depuis la chute d’El-Facher, dernier bastion de l’armée au Darfour, fin octobre.
Le Kordofan, nouvel objectif stratégique des FSR
Après avoir conquis presque tout le Darfour, les Forces de soutien rapide ont porté leur offensive vers l’est, dans le Kordofan. Leur objectif est clair : briser l’arc défensif qui protège encore le centre du pays et la capitale Khartoum.
Contrôler le Kordofan, c’est contrôler les routes d’approvisionnement, les champs pétrolifères et une grande partie de la production agricole. C’est aussi ouvrir la voie vers une possible contre-offensive sur Khartoum, perdue en grande partie au début du conflit.
Pour les analystes militaires, la prise de cette région pourrait changer radicalement la donne. Et c’est précisément pour cette raison que les combats y sont d’une violence extrême.
Des chiffres qui donnent le vertige
Depuis avril 2023, la guerre au Soudan a provoqué :
- Des dizaines de milliers de morts (le chiffre exact reste inconnu, mais les estimations les plus basses dépassent les 20 000)
- 12 millions de déplacés, soit plus d’un Soudanais sur quatre
- Près de 25 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë
- Des centaines d’écoles et d’hôpitaux détruits ou fermés
L’ONU qualifie cette crise de « pire catastrophe humanitaire au monde » en cours. Et pourtant, elle reste largement oubliée des médias et des opinions publiques internationales.
Les réactions internationales : indignation sans effet
Jeudi soir, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Volker Türk, s’est dit « véritablement choqué » par cette nouvelle « vague d’atrocités ».
Il a rappelé les exactions commises à El-Facher après sa prise par les FSR : massacres, viols systématiques, pillages, enlèvements. Et a mis en garde contre une répétition de ces horreurs au Kordofan.
Le président de l’Union africaine, Mahmoud Ali Youssouf, s’est dit « consterné » et a dénoncé des « atrocités répétées et croissantes » contre les civils.
« Il est véritablement choquant de voir l’histoire se répéter au Kordofan si peu de temps après les événements terrifiants d’El-Facher »
Volker Türk, Haut-Commissaire ONU aux droits de l’Homme
Malgré ces déclarations, les efforts de paix restent lettre morte. Les deux camps semblent déterminés à poursuivre la guerre jusqu’à l’épuisement total de l’adversaire.
L’aide humanitaire prise pour cible
Le même jeudi, un camion du Programme alimentaire mondial a été attaqué au nord-Darfour, alors qu’il transportait de l’aide vers des milliers de réfugiés d’El-Facher.
Quelques jours plus tôt, le passage frontalier d’Adre, vital pour l’acheminement de l’aide depuis le Tchad, aurait été bombardé selon les FSR – accusation démentie par des sources locales.
Ces incidents ne sont pas isolés. Les deux belligérants s’accusent mutuellement d’entraver l’aide humanitaire, alors même que la population civile est au bord de la famine.
Un conflit alimenté de l’extérieur
L’armée soudanaise accuse régulièrement les Émirats arabes unis de fournir armes et soutien logistique aux FSR via le Tchad et la Libye – accusations niées par Abu Dhabi mais corroborées par plusieurs rapports indépendants.
De leur côté, les FSR bénéficient du soutien de certains groupes armés, notamment le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord dirigé par Abdelaziz al-Hilu, qui combat aux côtés des paramilitaires dans le Kordofan.
Cette dimension régionale complexifie encore un conflit déjà extrêmement difficile à résoudre.
Et maintenant ?
Dans les ruines encore fumantes de l’école de Kalogi, des parents cherchent toujours les corps de leurs enfants. Certains n’ont retrouvé que des petits cartables calcinés.
La communauté internationale condamne, s’indigne, appelle à la trêve. Mais sur le terrain, rien ne semble pouvoir arrêter cette spirale de violence.
Le Soudan, déjà fragilisé par des décennies de conflits, risque de basculer dans un chaos encore plus profond. Et ce sont toujours les civils – et particulièrement les enfants – qui en paient le prix le plus lourd.
Combien de Kalogi faudra-t-il encore avant que le monde ne réagisse vraiment ?
À retenir : L’attaque de Kalogi n’est pas un « dommage collatéral ». Cibler délibérément une école, un hôpital, puis les sauveteurs, constitue une triple violation du droit international humanitaire. Et elle révèle jusqu’où ce conflit est prêt à aller dans l’horreur.
Le silence qui entoure cette guerre est assourdissant. Pourtant, chaque jour qui passe voit de nouveaux enfants mourir sous les bombes, de nouvelles familles se retrouver sans rien, de nouveaux espoirs s’éteindre.
Le Soudan ne peut plus attendre.









