Imaginez une ville où le simple fait de trouver un sac de maïs pour nourrir une famille devient un acte de désespoir, où des alliés d’hier s’affrontent pour des miettes. À Kadougli, dans le Kordofan du Sud au Soudan, la famine a transformé une crise humanitaire en un terrain de violences. Mardi, des heurts ont éclaté entre l’armée soudanaise et une milice alliée, tous deux confrontés à l’urgence d’une population affamée. Ce conflit, exacerbé par un siège prolongé, révèle l’ampleur d’une tragédie où la nourriture devient une arme.
Une ville sous siège : Kadougli au bord du gouffre
Depuis avril 2023, Kadougli, située dans la région stratégique du Kordofan du Sud, est encerclée. Les routes d’approvisionnement, vitales pour acheminer nourriture et aide, sont coupées. Cette situation a plongé la ville dans une pénurie alimentaire dramatique, où les produits de base comme le riz ou les lentilles atteignent des prix exorbitants, jusqu’à 10 dollars le kilo. Les habitants, épuisés par des mois de privations, luttent pour survivre dans un contexte où chaque repas est un défi.
La guerre civile qui déchire le Soudan oppose l’armée régulière aux Forces de Soutien Rapide (FSR), un groupe paramilitaire autrefois allié. Ce conflit, qui a déjà fait des dizaines de milliers de morts, a transformé le Kordofan en un champ de bataille. Kadougli, coincée au cœur de cette région, est devenue un symbole de la détresse humaine, où la faim alimente des tensions même entre alliés.
Des affrontements nés de la faim
Mardi, la situation a dégénéré à Kadougli. Une milice alliée à l’armée, connue sous le nom de Kafi Tayara, a tenté de forcer l’accès à des entrepôts de vivres pour nourrir une population au bord de l’effondrement. Selon un fonctionnaire local, Issa Kafi, âgé de 33 ans, cette action désespérée visait à soulager les habitants, asphyxiés par un siège interminable. Mais l’armée, chargée de protéger ces stocks, s’y est opposée, déclenchant des affrontements violents.
Hier, des personnes armées ont essayé de sortir de la nourriture des entrepôts pour nourrir les affamés. Le siège dure depuis trop longtemps.
Issa Kafi, fonctionnaire à Kadougli
Un témoin anonyme a décrit une scène chaotique : des membres de la milice Kafi Tayara ont tenté d’ouvrir des magasins du marché pour distribuer des provisions, mais les soldats ont riposté, percevant cette initiative comme une tentative de pillage. Une source militaire, sous couvert d’anonymat, a qualifié les actions de la milice de « tentative de vol » par un groupe indiscipliné. Ces divergences d’interprétation soulignent la tension croissante dans une ville où la survie prime sur toute loyauté.
Une crise humanitaire aggravée par la guerre
Le conflit au Soudan, qui a éclaté en avril 2023, oppose deux forces autrefois alliées : l’armée, qui contrôle le centre, le nord et l’est du pays, et les FSR, qui dominent l’ouest, notamment le Darfour. Le Kordofan, avec ses routes stratégiques, est un enjeu majeur, où chaque camp s’appuie sur des milices locales pour asseoir son pouvoir. Mais à Kadougli, cette lutte pour le contrôle territorial a un coût humain dramatique.
Les Nations unies alertent depuis des mois sur la famine qui frappe le Kordofan du Sud. L’acheminement de l’aide humanitaire est quasi impossible, les routes étant bloquées par les combats. Selon un rapport récent, 96 % des familles réfugiées à Kadougli ne peuvent pas subvenir à leurs besoins de base. Les prix des denrées alimentaires, comme le sucre ou le maïs, sont devenus inabordables pour la majorité des habitants.
On en est arrivé à un point où deux familles partagent un sac de maïs, ce qui n’est même pas suffisant pour un seul repas.
Aisha Komi, enseignante et mère de cinq enfants
Les commerçants, profitant de la rareté des produits, imposent des prix exorbitants, plongeant davantage la population dans le désespoir. Ibrahim Kuku, un habitant de 41 ans, a dénoncé cette exploitation via une liaison satellite, soulignant que les habitants subissent à la fois la guerre et la cupidité.
Le Kordofan : un carrefour stratégique ravagé
Le Kordofan du Sud, situé au cœur du Soudan, est une région clé en raison de ses routes reliant différentes parties du pays. Cette position stratégique en fait un point focal des combats entre l’armée et les FSR. Ces derniers ont été accusés récemment d’attaques particulièrement violentes dans la région, aggravant l’insécurité et les déplacements de population.
Chiffres clés de la crise à Kadougli :
- 96 % des familles réfugiées ne peuvent subvenir à leurs besoins.
- Prix des denrées de base : jusqu’à 10 dollars le kilo.
- Conflit en cours depuis avril 2023.
- Routes d’approvisionnement bloquées, rendant l’aide humanitaire inaccessible.
Dans ce contexte, la ville de Kadougli est devenue un microcosme des souffrances du Soudan. Les communications sont coupées, les observateurs indépendants n’ont pas accès à la zone, et les informations fiables sont rares. Cette opacité rend la situation encore plus dramatique, car les appels à l’aide peinent à être entendus à l’échelle internationale.
Que faire face à cette tragédie ?
La crise à Kadougli soulève des questions cruciales sur la réponse internationale face à la crise humanitaire au Soudan. Les organisations comme les Nations unies appellent à une mobilisation urgente pour acheminer de l’aide, mais les obstacles logistiques et sécuritaires restent immenses. La communauté internationale doit-elle intensifier ses efforts pour négocier des corridors humanitaires ? Les sanctions contre les parties en conflit pourraient-elles freiner les violences et permettre un accès aux vivres ?
Pour les habitants de Kadougli, chaque jour est une lutte pour la survie. Les affrontements entre l’armée et ses alliés, comme la milice Kafi Tayara, montrent que même les forces unies par un même camp peuvent se déchirer face à la faim. Cette situation illustre l’urgence d’une action concertée pour éviter que la famine ne devienne une arme de guerre à part entière.
Un avenir incertain pour Kadougli
Alors que le conflit s’enlise, les perspectives pour Kadougli et le Kordofan du Sud restent sombres. La population, prise en étau entre la guerre et la famine, continue de payer le prix fort d’un conflit qui semble sans fin. Les témoignages d’habitants comme Aisha Komi ou Ibrahim Kuku rappellent l’urgence d’agir pour sauver des vies.
La tragédie de Kadougli n’est pas isolée : elle reflète les défis plus larges auxquels le Soudan est confronté. Entre guerre civile, crise alimentaire et effondrement économique, le pays est à un tournant. La question demeure : combien de temps encore les habitants de Kadougli pourront-ils tenir face à une telle détresse ?
Kadougli, une ville où la faim est devenue un champ de bataille. Que peut-on faire pour changer cette réalité ?