Imaginez un pays où plus de dix millions de personnes ont dû fuir leur maison, où les hôpitaux sont bombardés, où la famine menace des millions d’enfants. Ce pays existe : c’est le Soudan, en guerre depuis avril 2023. Et soudain, au milieu du chaos, le général qui dirige l’armée régulière prend sa plume et s’adresse directement au futur président des États-Unis. Un appel aussi inattendu que désespéré.
Un appel direct à Donald Trump
Mercredi, le général Abdel Fattah al-Burhane, chef de l’armée soudanaise, a publié une tribune choc. Il y supplie presque Donald Trump d’utiliser son influence pour arrêter le conflit qui oppose ses troupes aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) depuis plus de deux ans et demi.
Le ton est à la fois ferme et suppliant : « Le peuple soudanais se tourne maintenant vers Washington pour la prochaine étape », écrit-il, espérant que le président américain sera « déterminé à s’opposer aux acteurs étrangers qui prolongent notre souffrance ».
Travailler avec nous – et ceux dans la région qui recherchent sincèrement la paix – pour mettre fin à cette guerre.
Derrière ces mots, une réalité brutale : l’armée régulière perd du terrain face aux FSR, et Burhane sait que sans intervention extérieure massive, la chute de Khartoum n’est plus qu’une question de mois.
Un rejet cinglant de la dernière proposition de trêve
Paradoxalement, quelques jours seulement avant cette tribune, le même général Burhane qualifiait la nouvelle proposition de cessez-le-feu du « Quad » (États-Unis, Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Égypte) d’« inacceptable » et même de « pire à ce jour ».
Pourquoi un tel rejet ? Pour lui, ce groupe de médiateurs est tout simplement partial. La présence des Émirats arabes unis dans le quatuor est rédhibitoire : Burhane accuse régulièrement Abou Dhabi de livrer armes, carburant et mercenaires aux FSR. Des rapports internationaux et enquêtes indépendantes vont dans le même sens, même si les Émirats nient farouchement.
Le général refuse donc de s’asseoir à la même table que ceux qu’il considère comme les sponsors de ses ennemis.
Les États-Unis entre deux feux
Du côté américain, l’émissaire spécial Massad Boulos multiplie les déplacements. Après Abou Dhabi, il a réaffirmé que la proposition de trêve restait « une étape cruciale vers un dialogue soutenu » et, surtout, vers une transition vers un régime civil.
Cette idée d’une gouvernance civile fait bondir Burhane. Dans sa tribune, il oppose « un État souverain qui tente de protéger ses citoyens » à « une milice génocidaire ». Pour lui, accepter la trêve actuelle reviendrait à légitimer les FSR et à ouvrir la porte à leur prise de pouvoir.
Un dilemme cornélien pour Washington : soutenir l’armée régulière (issue du précédent régime militaro-civil) ou pousser coûte que coûte vers une solution incluant les paramilitaires, au risque de prolonger le chaos.
Des crimes de guerre documentés des deux côtés
Pendant que les diplomates discutent, la guerre continue de faire des victimes. Amnesty International vient de publier un rapport accablant sur la prise d’El-Facher fin octobre par les FSR. Exécutions sommaires d’hommes désarmés, viols systématiques de femmes et de jeunes filles, pillages : les témoignages recueillis par l’ONG sont terrifiants.
Mais l’armée régulière n’est pas exempte de reproches. Dans d’autres régions, elle est accusée de bombardements indiscriminés sur des zones civiles. Aucun camp n’a les mains propres.
Et pourtant, le chef des FSR, Mohamed Hamdane Daglo (dit « Hemedti »), a annoncé une trêve humanitaire unilatérale de trois mois « en réponse aux efforts internationaux, notamment à l’initiative du président Trump ». Un geste perçu comme une opération de communication plus qu’une réelle volonté de paix.
Une crise humanitaire hors norme
Derrière les jeux diplomatiques et les communiqués militaires, la population paie le prix fort. L’ONU parle aujourd’hui de la pire crise humanitaire au monde.
- Plus de 10 millions de déplacés internes
- 2 millions de réfugiés dans les pays voisins
- 25 millions de personnes en besoin d’aide humanitaire
- Risque de famine catastrophique dans plusieurs régions
- Des villes entières rasées ou assiégées (Babanusa, El-Facher, Nyala…)
Les combats ont repris de plus belle au Kordofan et au Darfour ces dernières semaines. L’armée affirme avoir repoussé un assaut des FSR à Babanusa, tuant « des centaines de mercenaires ». Impossible à vérifier : les communications sont coupées depuis des mois dans ces zones.
Pourquoi Trump pourrait-il changer la donne ?
Burhane mise clairement sur le retour de Donald Trump pour plusieurs raisons. D’abord, le président élu s’est dit « horrifié » par les images de violence au Soudan. Ensuite, son administration précédente avait normalisé les relations avec Khartoum (retrait de la liste des États soutenant le terrorisme). Enfin, Trump aime les gestes forts et les interventions directes.
Le général espère visiblement un soutien militaire ou au moins une pression maximale sur les Émirats et les autres soutiens présumés des FSR. Reste à savoir si le futur locataire de la Maison Blanche aura envie de s’embourber dans un conflit aussi complexe à l’autre bout du monde.
Et maintenant ?
La situation est dans une impasse totale. Toutes les trêves précédentes ont été violées en quelques heures. Les deux camps continuent de s’accuser mutuellement de génocide et de crimes contre l’humanité. La communauté internationale semble à court d’idées.
L’appel de Burhane à Trump est peut-être le dernier espoir d’un règlement négocié avant un effondrement total de l’État soudanais. Ou alors le prélude à une guerre encore plus longue et plus meurtrière.
Une chose est sûre : des millions de Soudanais n’ont plus le luxe d’attendre. Chaque jour qui passe, des enfants meurent de faim, des familles sont séparées, des villages disparaissent. La paix, la vraie, semble encore très loin. Mais cet appel direct à Washington pourrait être le début d’autre chose. Ou la dernière illusion avant la chute.
Le Soudan n’a plus de héros ni de sauveurs étrangers.
Mais aujourd’hui, son sort pourrait se jouer à des milliers de kilomètres de Khartoum, dans le bureau ovale de la Maison Blanche.
À suivre de très près dans les prochaines semaines.









