Imaginez-vous réveillé en pleine nuit par une explosion lointaine, puis plonger soudain dans l’obscurité totale. Plus de lumière, plus de ventilateur, plus de réfrigérateur. C’est la réalité qu’ont vécue des millions de Soudanais ce jeudi matin, lorsque des drones ont frappé une infrastructure électrique vitale dans l’est du pays.
Une attaque aérienne d’une ampleur inédite
Très tôt dans la matinée, une série de frappes a secoué plusieurs villes de l’État du Nil. Des sources militaires parlent de trente-cinq drones déployés contre des cibles précises. Ces engins sans pilote ont visé des installations civiles, transformant une nuit ordinaire en cauchemar pour les habitants.
Les villes d’Atbara, Ad-Damer et Berber ont été directement touchées. Atbara, en particulier, abrite une centrale électrique cruciale pour tout le réseau national. Les transformateurs de la station d’Al-Muqrin ont été détruits, provoquant une réaction en chaîne immédiate.
Un responsable de la centrale a confirmé que l’attaque provenait des Forces de soutien rapide, ces paramilitaires en guerre ouverte contre l’armée régulière depuis plus de deux ans. Cette offensive matinale n’était pas isolée : elle s’inscrit dans une stratégie plus large de perturbation des infrastructures essentielles.
Des victimes parmi les premiers secours
Le bilan humain, bien que limité en comparaison de la portée stratégique, n’en reste pas moins tragique. Deux personnes ont perdu la vie lors de cette opération. Il s’agissait de secouristes qui intervenaient pour éteindre l’incendie déclenché par la première frappe.
Une seconde vague de drones les a pris pour cible alors qu’ils accomplissaient leur devoir. Le gouvernement local de l’État du Nil a dénoncé ces actes, accusant les assaillants de mépriser totalement la vie humaine. Ces morts illustrent la brutalité d’un conflit où même les sauveteurs ne sont plus à l’abri.
Dans un communiqué officiel, les autorités régionales ont rendu hommage à ces deux héros ordinaires, tombés en tentant de limiter les dégâts. Leur sacrifice souligne le danger constant auquel sont exposés ceux qui tentent d’aider la population en temps de guerre.
« Des milices qui n’ont aucun respect pour la vie humaine. »
Communiqué du gouvernement de l’État du Nil
Un pays plongé dans le noir
Les conséquences immédiates ont été spectaculaires. Dès deux heures du matin, l’électricité a été coupée dans de vastes régions. La compagnie nationale d’électricité a rapidement confirmé l’interruption de l’approvisionnement dans plusieurs États.
Port-Soudan, qui sert de siège provisoire au gouvernement, a été touché. Des témoins ont décrit une ville soudainement paralysée. Un fonctionnaire local a confié son inquiétude : sans courant, les activités quotidiennes deviennent impossibles, et l’espoir d’un retour rapide à la normale s’amenuise.
La station d’Al-Muqrin joue un rôle central. Elle reçoit l’énergie produite par le grand barrage de Merowe, principale source hydroélectrique du pays, avant de la redistribuer. Sa mise hors service a créé un effet domino, affectant l’État du Nil, celui de la mer Rouge, et même partiellement la capitale Khartoum.
Des habitants d’Atbara ont rapporté avoir vu des flammes et de la fumée s’élever dans le ciel nocturne. Les défenses antiaériennes de l’armée ont été activées, tentant d’intercepter les drones. Mais les dégâts étaient déjà considérables, et les réparations pourraient prendre du temps.
Un résident a exprimé sa crainte : les infrastructures électriques, déjà fragilisées par des années de conflit, risquent de mettre longtemps à être restaurées. Chaque heure sans électricité complique la vie de millions de personnes.
États touchés par les coupures :
- État du Nil (Atbara, Ad-Damer, Berber)
- État de la mer Rouge (incluant Port-Soudan)
- Partiellement Khartoum
- Autres régions connectées au réseau national
Un conflit qui cible délibérément les infrastructures
Cette attaque n’est pas un incident isolé. Ces derniers mois, les Forces de soutien rapide ont multiplié les opérations contre des sites militaires mais aussi civils. L’objectif semble clair : affaiblir l’adversaire en privant la population de services essentiels.
Les coupures d’électricité récurrentes affectent des millions de Soudanais. Dans un pays déjà en proie à la faim et aux déplacements massifs, l’absence de courant aggrave encore la situation. Hôpitaux, pompes à eau, communications : tout devient plus difficile.
Le réseau électrique, vétuste et sous-financé depuis longtemps, subit coup après coup. Chaque frappe retarde les efforts de reconstruction et prolonge les souffrances quotidiennes des civils pris au piège de cette guerre fratricide.
Le contexte d’une guerre sans fin
Ce conflit a éclaté en avril 2023, opposant l’armée régulière dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane aux paramilitaires des Forces de soutien rapide. Deux ans et demi plus tard, aucune issue pacifique n’est en vue.
Les combats ont causé des dizaines de milliers de morts. Des millions de personnes ont été déplacées, créant ce que l’ONU qualifie de pire crise humanitaire mondiale. La violence s’est déplacée au fil du temps, du centre vers l’ouest, puis maintenant vers d’autres régions.
Récemment, les paramilitaires ont consolidé leur contrôle sur le Darfour, prenant même la dernière capitale régionale encore disputée. Leurs avancées sont souvent accompagnées d’exactions graves, dénoncées par les organisations internationales.
Dans le Kordofan, au sud, les sièges se prolongent. Des villes comme Kadougli et Dilling sont encerclées depuis dix-huit mois. La population civile paie le prix fort de ces stratégies militaires prolongées.
Un rapport récent du Haut-Commissariat aux droits de l’homme évoque plus d’un millier de civils tués dans un seul camp de déplacés au Darfour-Nord, lors d’une attaque en avril. Ces chiffres glaçants rappellent l’ampleur des atrocités commises.
Des efforts diplomatiques au point mort
Alors que la situation militaire s’envenime, la diplomatie patine. Le général al-Burhane est attendu au Caire ce jeudi pour discuter de la crise. L’Égypte tente de jouer un rôle de médiateur, mais les obstacles sont nombreux.
Les négociations menées par les États-Unis et le groupe dit du « Quad » – incluant Égypte, Arabie Saoudite et Émirats arabes unis – n’avancent pas. Un plan proposé récemment a été rejeté par le chef de l’armée, qui y voit une menace pour sa position.
Ce projet envisageait d’exclure à la fois l’armée et les paramilitaires de la transition politique future. Une telle proposition, bien que visant peut-être une solution neutre, a été perçue comme inacceptable par les deux camps.
Dans ce contexte bloqué, chaque nouvelle offensive comme celle d’aujourd’hui éloigne un peu plus la perspective d’une trêve. Les civils, eux, continuent de subir les conséquences directes de cette impasse.
Les conséquences humaines au quotidien
Au-delà des chiffres et des stratégies, il y a les vies bouleversées. Sans électricité, les hôpitaux fonctionnent au ralenti. Les denrées périssables se gâtent. Les communications s’interrompent.
À Port-Soudan, où réside temporairement le gouvernement, la coupure a paralysé une partie de l’administration. Dans les zones rurales, les pompes à eau électriques ne fonctionnent plus, aggravant les problèmes d’accès à l’eau potable.
Les enfants ne peuvent pas étudier correctement. Les commerces perdent leurs stocks. La chaleur, dans un pays souvent torride, devient insupportable sans ventilation. Chaque panne prolongée ajoute une couche supplémentaire de souffrance.
Et pourtant, les Soudanais s’adaptent, comme ils l’ont fait depuis le début du conflit. Ils allument des bougies, partagent des générateurs quand ils en ont, attendent avec une résilience remarquable que le courant revienne.
Cette attaque rappelle cruellement que la guerre ne se limite pas aux champs de bataille. Elle s’infiltre dans chaque aspect de la vie quotidienne, rendant l’existence encore plus précaire pour une population déjà épuisée.
Vers une aggravation de la crise humanitaire
L’ONU alerte régulièrement sur la situation au Soudan. Avec cette nouvelle perturbation majeure, les besoins humanitaires risquent de s’accroître encore. Les organisations d’aide peinent déjà à atteindre toutes les zones affectées.
Les destructions d’infrastructures compliquent leur travail. Comment distribuer de la nourriture ou des médicaments quand les routes sont dangereuses et que les installations de stockage ne fonctionnent plus correctement ?
Le conflit a déjà provoqué des déplacements massifs. Des familles entières ont fui leurs maisons, cherchant la sécurité ailleurs. Chaque nouvelle escalade pousse davantage de personnes sur les chemins de l’exode.
La communauté internationale observe, propose des médiations, mais les résultats concrets tardent à venir. Pendant ce temps, le Soudan continue de sombrer dans une crise dont les ramifications touchent toute la région.
Cette frappe de drones sur une centrale électrique n’est qu’un épisode de plus dans une guerre qui semble interminable. Elle illustre la détermination des belligérants à utiliser tous les moyens pour affaiblir l’adversaire, au détriment d’une population civile épuisée.
Alors que le général al-Burhane se rend au Caire, beaucoup espèrent un signe d’apaisement. Mais sur le terrain, la réalité reste impitoyable : des villes dans le noir, des familles dans l’angoisse, et un avenir incertain.
Le Soudan mérite mieux que cette spirale de violence. Espérons que la raison finisse par prévaloir, pour que les lumières puissent enfin se rallumer, non seulement dans les maisons, mais dans tout le pays.









