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Sonia Dahmani Libérée : Le Décret 54 Va-t-il Tomber ?

Dix-huit mois de prison pour des propos tenus à la télévision. Sonia Dahmani vient de retrouver la liberté… mais pas encore la sérénité. Elle annonce déjà qu’elle se battra jusqu’à l’abrogation de l’article 24 du décret 54. Ce texte, censé lutter contre les fake news, est-il devenu l’arme ultime contre la parole libre ?

Imaginez : on vient vous chercher dans votre cellule sans prévenir. Vous pensez qu’on vous transfère dans une autre prison. Et soudain, la porte s’ouvre sur la lumière. C’est exactement ce qu’a vécu Sonia Dahmani jeudi dernier. Après dix-huit mois de détention, l’avocate et chroniqueuse tunisienne a retrouvé ses proches, encore sous le choc de cette libération conditionnelle aussi brutale qu’inespérée.

Une surprise totale au cœur de la prison de La Manouba

Lorsqu’un gardien lui a ordonné de rassembler ses affaires, Sonia Dahmani n’a pas cru à une libération. « J’ai cru que c’était pour changer de prison », confie-t-elle, la voix encore tremblante d’émotion. Quelques minutes plus tard, elle franchissait le portail de la prison civile de La Manouba, seule prison pour femmes du pays, entourée de sa famille et de ses avocats.

La joie était immense, mais mêlée d’une étrange sensation d’irréel. Ses codétenues, avec qui elle partageait le quotidien 24 heures sur 24, ont pleuré en la voyant partir. Des liens indéfectibles se tissent dans l’adversité. « On se soutient dans les deux sens du terme », explique-t-elle avec un sourire triste.

Dix-huit mois sous le coup du décret 54

Sonia Dahmani a été condamnée à plusieurs reprises en première instance pour diffusion de « fausses informations » en vertu du fameux décret-loi n°54 promulgué par le président Kais Saïed en septembre 2022. Ce texte, présenté à l’origine comme un rempart contre les abus sur les réseaux sociaux, prévoit jusqu’à cinq ans de prison pour quiconque diffuse des « fausses nouvelles » ou des « rumeurs » portant atteinte à la sécurité publique ou à l’image du pays.

Mais l’interprétation large faite par les juges a transformé ce décret en outil de répression massive. Des journalistes, des blogueurs, des militants, mais aussi de simples citoyens ont été arrêtés pour des publications Facebook ou des déclarations à la télévision. Sonia Dahmani en fait partie.

« Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions »

Sonia Dahmani, quelques heures après sa libération

Des conditions de détention indignes

La prison de La Manouba, construite il y a plusieurs décennies, est vétuste et surpeuplée. Sonia Dahmani décrit des cellules exiguës, une hygiène précaire, une nourriture médiocre. « Le minimum y est, mais c’est très loin d’être confortable », résume-t-elle sobrement.

Les détenues manquent cruellement d’espace. Les visites médicales sont rares. Le surencombrement rend la cohabitation parfois explosive. Pourtant, c’est dans cet univers fermé que se sont nouées des solidarités profondes, des amitiés qui survivront aux murs.

Liberté conditionnelle… mais pas la fin du combat

La libération de Sonia Dahmani n’efface pas les procédures en cours. Dès le lendemain, elle devait déjà se présenter devant la cour d’appel. Une autre audience est fixée au 26 décembre. Et une instruction est toujours ouverte, toujours sur la base du même décret 54.

Mais l’avocate l’affirme sans ambiguïté : elle ne fuira pas. « Je ne suis pas femme à m’enfuir. Je me présenterai à chaque convocation jusqu’au bout », lance-t-elle avec détermination.

Son objectif est clair : obtenir l’abrogation pure et simple de l’article 24 du décret 54, celui qui punit la diffusion de fausses informations. Un projet de loi est actuellement en discussion au Parlement. Elle veut y croire.

L’espoir d’une vague de libérations

Derrière les barreaux, ils sont encore des dizaines – peut-être des centaines – à être détenus pour des motifs similaires. Des jeunes de quartier, des anonymes, des adolescents parfois, arrêtés pour un post Facebook jugé trop critique ou une rumeur relayée sans vérification.

Sonia Dahmani refuse de les oublier. « Tout le monde a pris conscience que cet article 24 était extrêmement dangereux pour les libertés », insiste-t-elle. Elle prédit une sortie massive de ces prisonniers d’opinion dès que le texte sera modifié ou abrogé.

Car le décret 54, conçu pour protéger l’État, s’est retourné contre les citoyens. Ce qui devait être un bouclier contre la désinformation est devenu une épée suspendue au-dessus de toute parole critique.

Un décret né de bonnes intentions… détourné

À l’origine, le décret-loi 54 devait réguler les excès des réseaux sociaux après les campagnes de désinformation qui avaient émaillé la période post-révolution. Personne ne contestait la nécessité de lutter contre les appels à la haine ou les fake news organisées.

Mais la formulation vague de l’article 24 a ouvert la porte à tous les abus. Qu’est-ce qu’une « fausse nouvelle » ? Qui décide de la vérité ? Dans un contexte de concentration des pouvoirs, le texte est devenu un instrument idéal pour faire taire les voix dissonantes.

Organisations de défense des droits humains, syndicats de journalistes, avocats : tous dénoncent depuis deux ans une dérive autoritaire. La libération de Sonia Dahmani pourrait marquer un tournant.

Et maintenant ?

Rien n’est gagné. Le Parlement traîne des pieds. Le président Saïed reste silencieux sur le sujet. Mais la pression monte. Chaque libération, chaque témoignage comme celui de Sonia Dahmani fragilise un peu plus le décret 54.

L’avocate, elle, n’a pas l’intention de se taire. Revenue à la liberté, elle reprend déjà sa plume et sa parole. Plus déterminée que jamais. Car pour elle, ce combat dépasse largement son cas personnel : il s’agit de l’avenir de la liberté d’expression en Tunisie.

Et quand une femme sort de prison avec cette conviction chevillée au corps, il devient difficile de la faire taire à nouveau.

À retenir :

  • Libération conditionnelle surprise après 18 mois de détention
  • Plusieurs condamnations liées au décret-loi 54 (article 24)
  • Conditions de détention difficiles à la prison de La Manouba
  • Procédures judiciaires toujours en cours
  • Appel à l’abrogation immédiate de l’article 24
  • Espoir d’une vague de libérations pour les autres détenus d’opinion

L’histoire de Sonia Dahmani n’est pas terminée. Elle ne fait que commencer un nouveau chapitre. Plus libre, plus combative, et portée par des milliers de Tunisiens qui refusent que leur parole soit criminalisée.

La question reste entière : le décret 54 survivra-t-il à cette pression croissante ? Ou deviendra-t-il le symbole d’une parenthèse autoritaire que la Tunisie s’apprête à refermer ?

L’avenir nous le dira. Mais une chose est sûre : des voix comme celle de Sonia Dahmani ne s’éteindront plus.

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