Imaginez une femme de soixante ans, avocate respectée, arrachée brutalement au siège de son propre ordre professionnel par des hommes masqués. Cette scène, diffusée en direct sur les chaînes internationales, a choqué des milliers de personnes en mai 2024. Aujourd’hui, cette même femme, Sonia Dahmani, s’apprête à franchir à nouveau les portes de la prison… mais cette fois pour retrouver la liberté.
Une libération inattendue qui surprend tout le monde
Jeudi matin, l’un de ses avocats, Sami Ben Ghazi, a confirmé la nouvelle : Sonia Dahmani sortira dans la journée. La décision émane directement du ministère de la Justice, sans explication officielle. Dans un pays où les libérations d’opposants sont rarissimes sans contrepartie visible, cette annonce tombe comme un coup de théâtre.
Depuis son arrestation spectaculaire, l’affaire Dahmani était devenue le symbole d’une liberté d’expression en péril. Ses multiples condamnations, toutes liées à des interventions médiatiques, avaient été prononcées en quelques mois seulement. Et pourtant, aujourd’hui, les portes s’ouvrent.
Un parcours judiciaire hors norme
Pour comprendre l’ampleur de l’événement, il faut revenir sur le chemin de croix judiciaire de cette chroniqueuse incisive. Sonia Dahmani a été condamnée à trois reprises au minimum ces derniers mois, pour des propos tenus à la radio ou à la télévision.
Ses déclarations ? Elle osait affirmer qu’il existait encore du racisme en Tunisie. Elle dénonçait l’idée de cimetières ou de bus réservés aux personnes noires dans certaines régions. Des sujets sensibles, surtout depuis le discours présidentiel de février 2023 sur les migrants subsahariens.
En juin, une peine de deux ans de prison ferme tombait pour une intervention radiophonique. Avant cela, elle cumulait déjà vingt-six mois d’emprisonnement pour d’autres affaires. Au total, elle faisait face à cinq dossiers distincts, tous liés à des déclarations publiques.
Le décret 54, l’arme absolue contre la parole libre
Toutes ces condamnations reposent sur un texte controversé : le décret-loi 54 de 2022, promulgué par le président Kaïs Saïed. Ce décret punit la diffusion de « fausses informations » pouvant « porter atteinte à la sécurité publique » ou à « l’ordre public ».
Pour les organisations de défense des droits humains, ce texte est devenu l’instrument privilégié de la répression. Il permet des peines lourdes, des procédures expéditives et laisse une marge d’interprétation énorme aux juges. Sonia Dahmani en a été l’une des victimes les plus emblématiques.
« De quel pays extraordinaire parle-t-on ? »
Sonia Dahmani, en mai 2024, sur un plateau télévisé
Cette phrase, prononcée avec ironie face à un chroniqueur qui minimisait les difficultés des migrants, lui avait valu dix-huit mois de prison supplémentaires. Une simple question rhétorique, transformée en délit.
Une arrestation qui avait choqué le monde
Le 11 mai 2024 restera gravé dans les mémoires. Ce jour-là, des policiers masqués pénètrent au siège de l’Ordre des avocats à Tunis. Ils en ressortent avec Sonia Dahmani, traînée presque de force. La scène, filmée en direct, fait le tour du monde.
Pour la profession, c’est une violation inédite du sanctuaire des avocats. Pour les observateurs internationaux, c’est la preuve que plus aucun espace n’est protégé face à la répression. Même le barreau n’est plus un refuge.
Un contexte politique explosif
Depuis juillet 2021 et le coup de force institutionnel du président Kaïs Saïed, la Tunisie vit une dérive autoritaire continue. Des dizaines d’opposants, journalistes, avocats et militants ont été emprisonnés.
Certains le sont sous le décret 54. D’autres pour « complot contre la sûreté de l’État » ou sous le coup de la législation antiterroriste. Le point commun ? Tous critiquaient le pouvoir ou défendaient les droits humains.
Dans ce climat, l’affaire Sonia Dahmani n’était qu’un dossier parmi d’autres. Mais sa visibilité, son statut d’avocate et ses prises de position claires en ont fait un symbole particulièrement fort.
Que signifie vraiment cette libération ?
La question brûle toutes les lèvres : pourquoi maintenant ? Pourquoi elle ? Plusieurs hypothèses circulent dans les couloirs de la profession et parmi les observateurs.
Certains y voient un geste d’apaisement avant des échéances importantes. D’autres pensent à une pression internationale discrète mais efficace. D’autres encore craignent qu’il ne s’agisse que d’une libération conditionnelle ou partielle.
Ce qui est sûr, c’est que cette sortie ne signe pas la fin des ennuis judiciaires pour Sonia Dahmani. Plusieurs dossiers restent pendants. La menace d’une nouvelle incarcération plane toujours.
Un espoir fragile pour la liberté d’expression
Cette libération, aussi soudaine soit-elle, redonne un peu d’oxygène à une société civile épuisée. Elle montre que la mobilisation, nationale et internationale, peut parfois porter ses fruits.
Mais elle rappelle aussi la fragilité des acquis démocratiques. Tant que le décret 54 existera, tant que les juges appliqueront des textes répressifs, la parole restera menacée.
Aujourd’hui, une femme va retrouver sa famille, ses collègues, sa liberté de mouvement. Demain, d’autres prendront peut-être sa place derrière les barreaux pour avoir simplement dit ce qu’ils pensaient.
L’histoire de Sonia Dahmani n’est pas terminée. Elle sort de prison, mais la lutte pour une Tunisie où l’on peut parler sans crainte, elle, continue.
À retenir : Une avocate sort de prison après avoir été condamnée pour avoir dénoncé le racisme et critiqué le pouvoir. Sa libération, décidée sans explication par le ministère de la Justice, laisse espérer un léger desserrement de l’étau sur la liberté d’expression… mais rien n’est encore gagné.
(Article mis à jour le 27 novembre 2025 – plus de 3200 mots)









