Imaginez un pays où chaque victoire militaire semble éphémère, où les efforts internationaux s’essoufflent face à une insurrection implacable. En Somalie, les Shebab, liés à Al-Qaïda, regagnent du terrain, reprenant des villes stratégiques comme Moqokori et défiant une armée somalienne démoralisée. Ce conflit, qui dure depuis près de deux décennies, révèle des failles profondes : une armée en construction, des luttes claniques intestines et une lassitude croissante des bailleurs de fonds étrangers. Comment un pays peut-il se relever quand ses alliés perdent patience et que ses ennemis prospèrent ?
Une Insurrection qui Ne Faiblit Pas
Depuis le milieu des années 2000, la Somalie est en proie à une guerre acharnée contre les Shebab, un groupe jihadiste qui sème la terreur à travers des attaques coordonnées et des stratégies d’occupation. Récemment, leur offensive a marqué un tournant avec la reprise de Moqokori, une ville située à 300 kilomètres au nord-est de Mogadiscio. Lors de cette attaque, des véhicules piégés ont semé le chaos, permettant aux Shebab de consolider leur emprise sur la région stratégique de Hiiraan. Cette victoire n’est pas seulement tactique : elle symbolise l’échec d’une milice clanique locale, autrefois pilier de la lutte contre les jihadistes.
Les Shebab ne se contentent pas de reprendre du terrain. Ils exploitent les faiblesses d’un système fragilisé par des rivalités internes et un manque de coordination. Leur capacité à taxer les populations locales, souvent plus efficacement que l’État lui-même, leur confère un contrôle économique inquiétant. Ce pouvoir financier, combiné à leur résilience militaire, en fait l’une des insurrections les plus redoutables d’Afrique.
Les Milices Locales : Une Arme à Double Tranchant
En 2022, le gouvernement somalien avait marqué des points contre les Shebab grâce à l’appui des milices locales, connues sous le nom de Macwiisley. Ces groupes, ancrés dans les communautés, avaient permis de reprendre environ 200 villes et villages. Cette offensive, portée par une mobilisation collective, semblait annoncer une stabilisation possible. Mais la donne a changé.
« Tout le monde était fortement impliqué dans les combats en 2022, en aidant l’armée nationale », raconte Mohamed Hassan, membre d’une milice locale à Hiiraan.
Aujourd’hui, cette dynamique s’est effritée. Les Macwiisley souffrent d’une désorganisation croissante, aggravée par un favoritisme politique. Le gouvernement, dirigé par le président Hassan Sheikh Mohammad, a privilégié certains clans au détriment d’une stratégie militaire cohérente. Résultat : environ 90 % des territoires repris en 2022-2023 sont retombés aux mains des Shebab. Des villes comme Masjid Cali Gaduud et Adan Yabal, jadis symboles de progrès, sont à nouveau sous contrôle jihadiste.
- Pertes territoriales : 90 % des gains de 2022 repris par les Shebab.
- Infrastructures détruites : Trois ponts essentiels sur la rivière Shebelle, cruciaux pour les approvisionnements militaires, ont été détruits.
- Hiiraan : Une région clé désormais sous forte influence des Shebab.
Une Armée Somalienne en Crise
L’armée somalienne est confrontée à des défis colossaux. En phase de construction, elle peine à mener une guerre prolongée contre un ennemi mobile et déterminé. Le commando Danab, formé par les États-Unis, représente une lueur d’espoir, mais ses succès se limitent à des opérations ciblées. Incapable de tenir les territoires conquis, cette unité d’élite a subi des pertes démoralisantes, sapant le moral des troupes.
« Nous commençons à voir une armée non seulement dysfonctionnelle, mais qui perd aussi la volonté de se battre », observe Rashid Abdi, analyste chez Sahan Research.
Le chaos politique somalien aggrave la situation. Les rivalités claniques fragmentent le pays, empêchant tout consensus national. Alors que le gouvernement promet une nouvelle offensive militaire, il semble davantage préoccupé par l’organisation d’une élection au suffrage universel prévue l’an prochain. Pourtant, même à Mogadiscio, où la sécurité est renforcée, les attaques des Shebab, comme les tirs contre l’aéroport ou l’attentat manqué contre le convoi présidentiel en mars, rappellent leur présence constante.
La Lassitude des Soutiens Internationaux
Les partenaires internationaux de la Somalie, qui ont investi des milliards dans la sécurité, commencent à perdre patience. Depuis 2007, l’Union européenne et les États-Unis ont dépensé plus de 7 milliards de dollars, principalement pour financer des missions de l’Union africaine. La dernière mission, AUSSOM, a remplacé l’ancienne en décembre dernier, mais les forces somaliennes restent incapables de prendre le relais.
Acteur | Contribution | Défis |
---|---|---|
Union européenne | Financement de missions UA | Lassitude face aux résultats limités |
États-Unis | Formation du commando Danab | Hésitation à maintenir le financement |
Turquie | 500 soldats et drones à Mogadiscio | Priorité aux investissements stratégiques |
La frustration est palpable. « Qu’avons-nous acheté ces dix dernières années ? », s’interroge un diplomate occidental. Les nouveaux partenaires, comme les Émirats arabes unis, le Qatar ou l’Égypte, apportent un soutien limité, souvent orienté vers des intérêts économiques, comme la construction d’un port spatial turc, plutôt que vers la lutte contre les Shebab.
Les Shebab : Une Menace Économique et Militaire
Les Shebab ne se contentent pas de mener des opérations militaires. Leur emprise économique est tout aussi inquiétante. En taxant les populations et en contrôlant une grande partie de l’économie somalienne, ils surpassent l’État en termes de ressources financières. Cette capacité leur permet de recruter, de s’armer et de maintenir leur influence, même dans des zones théoriquement sous contrôle gouvernemental.
Leur stratégie est d’une efficacité redoutable. En détruisant des infrastructures clés, comme les ponts sur la rivière Shebelle, ils coupent les lignes d’approvisionnement de l’armée, affaiblissant encore davantage un gouvernement déjà fragilisé. Leur présence, même à Mogadiscio, où ils mènent des attaques sporadiques, maintient un climat de peur constant.
Vers un Avenir Incertain
La Somalie se trouve à un carrefour critique. D’un côté, les Shebab continuent de gagner du terrain, exploitant les failles d’un système politique et militaire fragilisé. De l’autre, les soutiens internationaux, lassés par des années d’investissements aux résultats mitigés, pourraient réduire leur engagement. Les nouvelles alliances avec des pays comme la Turquie ou le Qatar offrent un espoir limité, mais leurs priorités semblent éloignées de la lutte contre l’insurrection.
Le gouvernement somalien, quant à lui, doit relever un défi titanesque : unifier un pays divisé par des rivalités claniques, renforcer une armée démoralisée et convaincre ses partenaires de maintenir leur soutien. L’élection prévue l’an prochain, si elle a lieu, pourrait marquer un tournant. Mais dans un contexte où même la capitale n’est pas à l’abri des attaques, la stabilisation semble un objectif lointain.
- Enjeu politique : Les rivalités claniques entravent l’unité nationale.
- Enjeu militaire : L’armée somalienne manque de ressources et de motivation.
- Enjeu international : Les bailleurs de fonds reconsidèrent leur engagement.
Face à cette crise, une question demeure : la Somalie peut-elle surmonter ces obstacles et retrouver un semblant de stabilité ? Les Shebab, avec leur résilience et leur emprise croissante, semblent avoir l’avantage. Pourtant, l’histoire montre que même les insurrections les plus tenaces peuvent être affaiblies par une stratégie cohérente et un soutien international renouvelé. L’avenir du pays dépendra de sa capacité à surmonter ses divisions internes et à mobiliser ses alliés avant qu’il ne soit trop tard.