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Somalie : La Ligne de Front Fragile Face aux Shebab

À Awdheegle, l’hélicoptère militaire ne reste jamais plus de vingt minutes au sol : au-delà, les mortiers shebab risquent de pleuvoir. La ville vient pourtant d’être « libérée ». Mais pour combien de temps ?

L’hélicoptère militaire tremble déjà quand le pilote hurle : « Cinq minutes de plus et je vous laissais là ! » Vingt minutes au sol, c’est le maximum toléré dans cette zone. Au-delà, les shebab, postés à quelques kilomètres seulement, ajustent leurs mortiers. Nous sommes à Awdheegle, à soixante kilomètres de Mogadiscio, dans une ville officiellement reprise aux islamistes il y a moins de deux mois. Pourtant, rien ne semble vraiment gagné.

Des villages fantômes le long de la route de Mogadiscio

À une dizaine de kilomètres plus au nord, les villages de Sabiid et Canole offrent le même spectacle de désolation. Les tunnels creusés par les combattants shebab ont été bombardés pendant des mois par l’aviation somalienne et les drones. Les islamistes ont fini par se retirer en juin, non sans faire sauter le pont qui reliait les deux localités.

Un nouvel ouvrage, financé et construit par la Turquie, a été inauguré il y a quelques semaines. Des soldats ougandais de la force de l’Union africaine en assurent désormais la garde jour et nuit. C’est l’un des rares signes concrets de reconstruction dans une région où tout semble provisoire.

« Le combat que nous menons ne se limite pas à la Somalie. C’est une guerre mondiale »

Awes Hagi Yusuf, conseiller à la sécurité nationale du président somalien

Une contre-offensive shebab fulgurante

Entre 2022 et 2023, l’armée somalienne, soutenue par les forces de l’Union africaine, avait réussi l’improbable : reprendre près de 200 villes et villages aux shebab. Un espoir immense était né dans le pays. Mais dès le début de cette année, les islamistes affiliés à Al-Qaïda ont lancé une contre-offensive d’une violence inouïe.

Résultat : ils ont récupéré 90 % des territoires perdus, dont trois ponts stratégiques sur le fleuve Shabelle, artères vitales pour l’approvisionnement de Mogadiscio. Sans ces ponts, la capitale risque l’asphyxie alimentaire et économique.

Le gouvernement promet de reprendre bientôt ces points de passage, mais refuse de donner un calendrier précis. Sur le terrain, les habitants, eux, retiennent leur souffle.

L’aide occidentale qui s’effrite

Depuis 2007, l’armée somalienne vit sous perfusion de la mission de l’Union africaine (ATMIS aujourd’hui), financée très majoritairement par l’Union européenne et les États-Unis. Mais cette aide diminue drastiquement d’année en année.

Mogadiscio se tourne donc vers de nouveaux partenaires. La Turquie construit routes, hôpitaux, ponts et forme des unités d’élite. Les Émirats arabes unis fournissent armes et entraînement. L’Égypte et l’Érythrée sont également sollicitées. Mais ces accords bilatéraux, aussi précieux soient-ils, ne remplacent pas encore le volume d’aide occidental.

Samira Gaid, spécialiste somalienne de la sécurité, reste sceptique : « Le financement restera toujours un problème. Même l’armée ougandaise, pourtant bien équipée chez elle, ne peut pas se permettre de rester indéfiniment. »

Quand la politique intérieure paralyse la guerre

À cela s’ajoute un calendrier politique chargé. L’an prochain, la Somalie organisera pour la première fois depuis 1969 des élections au suffrage universel direct. Un événement historique qui mobilise toute l’énergie du pouvoir.

Dans un pays où le système politique repose sur un équilibre complexe entre clans et sous-clans, chaque débat électoral peut vite devenir explosif. Mahad Wasuge, chercheur au Somali Public Agenda, le résume ainsi : « Quand il y a des tensions politiques, tout le reste est négligé, y compris la guerre contre les shebab. »

Une population épuisée qui ne croit plus aux promesses

À Bariire, Muslimo Hassan Isaq, 56 ans, a passé huit mois déplacée dans un camp de fortune en périphérie de Mogadiscio. Revenue chez elle, elle découvre sa maison détruite. « Nous sommes des paysans. On n’a reçu aucune aide. Je ne peux pas reconstruire seule », confie-t-elle, la voix brisée.

Pour beaucoup d’habitants, la question n’est plus de savoir qui a le drapeau le plus haut, mais qui restera le plus longtemps et offrira un minimum de sécurité et de justice. Après trois décennies de guerre, la lassitude est totale.

« Ce qui compte, c’est qui reste le plus longtemps et qui offre un semblant de sécurité et de justice quand il est en place »

Samira Gaid, experte sécurité

Un fragile espoir malgré tout

Le conseiller à la sécurité nationale assure que l’ensemble de la zone dans un rayon de 300 kilomètres autour de Mogadiscio est désormais sous contrôle gouvernemental. Des opérations sont planifiées pour reprendre les ponts perdus et pousser plus loin dans les régions du Middle et Upper Shabelle.

Mais sur le terrain, chaque village « libéré » vit dans la peur du retour des hommes en noir. Les hélicoptères continuent de décoller en urgence, les soldats regardent sans cesse l’horizon, et les habitants comptent les jours avant la prochaine bataille.

La guerre en Somalie n’est pas finie. Elle a simplement changé de rythme, de visages et de bailleurs. Et tant que les shebab garderont leur capacité de nuisance, la fragile ligne de front continuera de trembler sous les rotors des hélicoptères militaires.

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