Qui était vraiment Sirikit, cette femme dont le visage orne encore les rues de Thaïlande, des médaillons dorés aux portraits majestueux ? Décédée à l’âge de 93 ans, la reine mère de Thaïlande a marqué l’histoire de son pays non seulement par son élégance légendaire, souvent comparée à celle de Jackie Kennedy, mais aussi par son rôle de pilier d’une nation souvent fracturée par des crises politiques. À travers un règne de plus de sept décennies aux côtés du roi Bhumibol Adulyadej, elle a incarné une stabilité rare dans un pays marqué par une douzaine de coups d’État depuis 1932.
Une icône de style et de tradition
Sirikit Kitiyakara, née le 12 août 1932 à Bangkok, n’était pas une figure royale ordinaire. Fille d’un diplomate thaïlandais ayant servi comme ambassadeur à Paris, elle a grandi en Europe, où elle a rencontré Bhumibol, alors étudiant en Suisse. Leur mariage, célébré en 1950 à Bangkok, a scellé une union qui allait devenir le symbole d’une monarchie constitutionnelle forte, malgré l’absence de pouvoir politique direct.
Son image, soigneusement façonnée, mêlait tradition et modernité. Dans les années 1960, Sirikit a captivé le monde par son allure sophistiquée, arborant des tenues traditionnelles thaïlandaises ou des tailleurs élégants, parfois agrémentés d’un béret à la parisienne. Les magazines internationaux, tels que Time ou Paris Match, la surnommaient « la plus jolie reine du monde », un titre qu’elle portait avec une grâce naturelle.
Un rôle au-delà de l’apparence
Mais réduire Sirikit à son élégance serait une erreur. Aux côtés de Bhumibol, elle a joué un rôle crucial dans la consolidation de l’image de la monarchie comme rempart contre l’instabilité. Dans une Thaïlande marquée par des bouleversements politiques, leur couple incarnait une forme de permanence, presque intemporelle. Comme elle l’expliquait dans une rare interview accordée à la BBC à la fin des années 1970 :
« Nous n’avons pas vraiment de vie privée, car nous sommes considérés comme le père et la mère de la Nation. »
Cette déclaration reflète la profondeur de son engagement. Sirikit ne se contentait pas de représenter la monarchie ; elle en était l’âme, une figure maternelle dont l’anniversaire, le 12 août, est devenu la date officielle de la Fête des Mères en Thaïlande, tout comme celui de Bhumibol marquait la Fête des Pères.
Une modernité assumée
Dans les années 1960, Sirikit et Bhumibol ont entrepris une tournée internationale, notamment aux États-Unis, qui a marqué un tournant dans la perception de la monarchie thaïlandaise. Leur style, à la fois ancré dans la tradition et résolument moderne, a séduit les médias occidentaux. Sirikit, avec son goût pour la mode et sa passion pour les concerts de jazz – un intérêt partagé avec Bhumibol, saxophoniste amateur – a incarné une monarchie ouverte sur le monde.
Cette modernité ne s’arrêtait pas à l’esthétique. Sirikit s’est investie dans des projets sociaux, notamment la promotion de l’artisanat thaïlandais, comme la soie, qu’elle a contribué à faire rayonner à l’international. Elle apparaissait souvent dans des magazines féminins, posant avec ses quatre enfants, projetant l’image d’une mère idéale tout en assumant ses obligations royales.
Un héritage en chiffres
- 70 ans : durée du règne de Bhumibol, aux côtés de Sirikit.
- 12 coups d’État : survenus en Thaïlande depuis 1932.
- 4 enfants : dont Maha Vajiralongkorn, actuel roi.
Une figure unificatrice dans un pays divisé
La Thaïlande, avec son histoire tumultueuse, a souvent été un pays divisé, entre factions politiques, manifestations et coups d’État. Dans ce contexte, Sirikit et Bhumibol représentaient une constante. Leur omniprésence dans l’espace public – portraits dans les rues, médaillons dorés, statues – renforçait leur statut de figures quasi divines. Pourtant, la monarchie n’a pas toujours échappé aux critiques. En 2020, une vague de manifestations menée par des jeunes a réclamé des réformes politiques, remettant en question l’influence de la royauté.
Sirikit, fidèle à la tradition, est restée en retrait des débats politiques. Cependant, un événement en 2008 a marqué les esprits : sa présence aux obsèques d’un manifestant royaliste des Chemises jaunes, tué lors d’affrontements avec la police. Ce geste, bien que discret, a été perçu comme un soutien implicite à une faction, révélant la complexité de son rôle dans un pays fracturé.
Les dernières années et un héritage durable
Les dernières années de Sirikit ont été marquées par une santé fragile. Après une attaque cérébrale en 2010, elle s’est progressivement retirée de la vie publique, passant la majeure partie de son temps à l’hôpital. Son décès, survenu à 93 ans, a suscité une vague d’émotion dans le pays. Comme l’a souligné le chercheur Pavin Chachavalpongpun :
« Sa présence symbolisait un lien tangible entre le règne actuel et une époque passée si chère à tous. »
Ce lien est d’autant plus significatif que l’avenir de la monarchie thaïlandaise reste incertain. Maha Vajiralongkorn, successeur de Bhumibol, règne dans un contexte de tensions politiques et sociales. À 73 ans, il n’a pas encore clarifié la question de sa succession, ajoutant une couche d’incertitude à l’institution.
Pourquoi Sirikit reste-t-elle une figure incontournable ?
Sirikit n’était pas seulement une reine consort ; elle était un symbole vivant de la Thaïlande. Son engagement, son élégance et sa capacité à incarner à la fois la tradition et la modernité ont fait d’elle une figure aimée et respectée. Voici quelques raisons de son impact durable :
- Promotion de la culture thaïlandaise : À travers son soutien à l’artisanat, elle a valorisé des savoir-faire traditionnels.
- Image de stabilité : Dans un pays secoué par l’instabilité, elle représentait une continuité.
- Charisme international : Son style et sa présence ont fait rayonner la Thaïlande à l’étranger.
Sa disparition laisse un vide, mais son héritage perdure. Les portraits de Sirikit, toujours présents dans les rues, rappellent une époque où la monarchie semblait intouchable. Pourtant, dans une Thaïlande en mutation, son image pourrait aussi inspirer une réflexion sur l’avenir de cette institution.
Un symbole pour l’avenir ?
Alors que la Thaïlande navigue entre modernité et tradition, le souvenir de Sirikit reste un point d’ancrage. Son élégance, son dévouement et son rôle de « mère de la Nation » continuent d’inspirer. Mais dans un pays où les jeunes générations appellent à des réformes, la monarchie devra peut-être se réinventer pour préserver cet héritage.
En définitive, Sirikit de Thaïlande n’était pas seulement une reine mère. Elle était un pont entre le passé et le présent, entre la tradition et la modernité, entre une nation divisée et l’espoir d’unité. Son décès marque la fin d’une ère, mais son influence, elle, semble destinée à perdurer.






