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Shiori Ito Brise le Silence #MeToo au Japon

Après des années d’attente et de polémiques, le documentaire de Shiori Ito, « Black Box Diaries », vient enfin d’être projeté au Japon. Mais derrière ce triomphe se cachent encore des zones d’ombre : des avocats dénoncent des atteintes aux droits, des visages sont floutés… Que révèle vraiment ce film sur la réalité des violences sexuelles au Japon ? La réponse risque de vous bouleverser.

Imaginez passer dix ans de votre vie à filmer votre propre combat pour la justice, en sachant que votre pays pourrait refuser de voir la vérité en face. C’est exactement ce qu’a vécu Shiori Ito.

Un documentaire enfin projeté au Japon

Le vendredi, dans une salle du cinéma T-Joy Prince Shinagawa à Tokyo, quelque chose d’historique s’est produit : le film Black Box Diaries, réalisé par la journaliste Shiori Ito, a été diffusé pour la première fois sur le sol japonais. Un événement qui paraissait presque impossible il y a encore quelques mois.

Ce documentaire, déjà salué à l’international et nommé aux Oscars, retrace le parcours de Shiori Ito après l’agression sexuelle qu’elle dit avoir subie en 2015. Un parcours semé d’embûches, de silences institutionnels et d’une incroyable résilience.

Une « lettre d’amour » au Japon

À la fin de la projection, Shiori Ito a pris la parole devant un public ému. Les larmes aux yeux, elle a qualifié son œuvre de « lettre d’amour » à son pays.

« J’ai passé dix ans à faire ce film en pensant qu’il serait une lettre d’amour au Japon. Cela compte énormément pour moi qu’il sorte ici, là où j’ai grandi et où je veux que les gens affrontent ce problème. »

Ces mots résonnent particulièrement dans un pays où la parole sur les violences sexuelles reste extrêmement difficile à libérer. Pour elle, montrer ce film au Japon n’est pas seulement une victoire personnelle : c’est un acte citoyen.

Pourquoi le film a-t-il été bloqué si longtemps ?

La sortie japonaise de Black Box Diaries a été retardée pendant des mois pour des raisons à la fois éthiques et juridiques. Certaines séquences avaient été tournées ou obtenues sans l’autorisation des personnes concernées.

Parmi les éléments controversés :

  • Une conversation téléphonique enregistrée en secret
  • Des images de vidéosurveillance d’hôtel présentées lors du procès
  • Des visages reconnaissables de tiers

Pour permettre la projection, Shiori Ito a accepté de modifier son film : suppression de certaines scènes, floutage de visages. Un compromis douloureux, mais nécessaire.

Une ancienne avocate monte au créneau

Yoko Nishihiro, qui a défendu Shiori Ito pendant huit ans, n’a pas mâché ses mots. Dans un communiqué, elle a dénoncé des « graves problèmes de droits humains » dans le documentaire.

Selon elle, l’utilisation d’enregistrements et d’images sans consentement pose des questions juridiques non résolues et constitue un manquement déontologique, même dans un contexte journalistique.

Cette prise de position publique d’une ancienne alliée a ajouté une couche supplémentaire de complexité à une affaire déjà très sensible.

L’émotion brute des spectateurs

Malgré la polémique, la salle était comble et l’émotion palpable. Yuko Ono, une sexagénaire venue voir le film, n’a pas caché ses larmes.

« Je n’ai pas pu le regarder sans pleurer. C’est un miracle qu’elle soit encore en vie. »

Pour elle, le documentaire sert « grandement l’intérêt public », bien au-delà des questions techniques ou juridiques.

Niko Osada, étudiante de 20 ans, a confié espérer que le film « fera prendre conscience de la gravité des violences sexuelles et déclenchera un changement dans la société ». Un espoir partagé par beaucoup dans la salle.

Ce que le film révèle sur le système japonais

Le documentaire met en lumière des éléments particulièrement troublants. Il affirme notamment qu’une tentative d’arrestation de Noriyuki Yamaguchi, l’homme que Shiori Ito accuse de viol, a été annulée à la dernière minute sur ordre de « supérieurs ».

Or, Yamaguchi était connu pour ses liens étroits avec l’ancien Premier ministre Shinzo Abe. Cette proximité a alimenté les soupçons d’ingérence politique dans l’enquête – un sujet encore brûlant au Japon.

Ces révélations, même si elles ne sont pas nouvelles pour ceux qui ont suivi l’affaire, prennent une force décuplée à l’écran, filmées et racontées par la victime elle-même.

Un tournant pour le mouvement #MeToo au Japon ?

Le Japon reste l’un des pays où le mouvement #MeToo a eu le plus de mal à s’implanter. Les victimes hésitent à parler, par peur du discrédit social, du harcèlement en ligne ou de l’absence de soutien institutionnel.

Shiori Ito a été l’une des toutes premières à briser ce mur de silence, au prix d’une pression médiatique et sociale énorme. Son procès civil gagné en 2019 a marqué un précédent important, mais beaucoup reste à faire.

La projection de Black Box Diaries pourrait bien constituer un nouveau jalon. Voir son histoire sur grand écran, dans son propre pays, donne une visibilité inédite à toutes celles qui n’ont pas encore osé parler.

Entre regrets et fierté

Shiori Ito n’a pas caché avoir ressenti des « regrets » face aux controverses autour de son film. Elle a conscience que certaines décisions artistiques ou journalistiques peuvent heurter.

Mais elle assume totalement son choix : « Je voulais que les gens affrontent ce problème. » Un problème qui concerne des milliers de Japonaises – et de Japonais – chaque année, dans l’indifférence générale.

Au final, Black Box Diaries n’est pas qu’un film. C’est un cri, un témoignage vivant, une preuve que le silence peut être brisé, même dans les sociétés les plus fermées.

Et si ce vendredi marquait vraiment le début d’un vrai changement ?

La route est encore longue, mais chaque projection, chaque témoignage, chaque larme versée dans une salle obscure rapproche le Japon d’une société où plus aucune victime n’aura à se battre seule.

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