Un jugement très attendu sera rendu ce mardi par le tribunal de La Haye concernant le recours du géant pétrolier Shell, accusé par plusieurs ONG de défense de l’environnement de ne pas avoir respecté une décision de justice lui ordonnant de réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre. Cette affaire, baptisée “le peuple contre Shell”, pourrait marquer un tournant dans la responsabilisation des multinationales face à l’urgence climatique.
Shell contraint de s’aligner sur l’Accord de Paris
En mai 2021, dans un jugement historique, le tribunal néerlandais avait intimé à Shell de diminuer ses émissions nettes de CO2 d’au moins 45% d’ici fin 2030 par rapport à 2019. Les juges avaient alors estimé que les rejets carbonés du groupe contribuaient significativement au réchauffement global et à ses conséquences désastreuses.
Shell avait fait appel, arguant de l’absence de base légale pour les demandes des ONG et que les décisions en la matière relevaient du pouvoir politique et non judiciaire. Le groupe avait déclaré : “Nous ne pensons pas qu’une décision de justice contre une entreprise soit la bonne solution pour la transition énergétique.”
Les ambitions climatiques de Shell en question
Si Shell affiche sur son site web sa volonté de réduire de 50% ses émissions absolues de CO2 d’ici 2030 par rapport à 2016, les ONG dénoncent des efforts insuffisants. Selon Milieudefensie, branche néerlandaise des Amis de la Terre :
Shell n’a pas d’ambition climatique crédible. Ses investissements dans les énergies renouvelables restent très faibles. Le groupe compte toujours augmenter ses explorations pétrolières et gazières, avec plus de 800 nouveaux champs en attente d’exploitation.
De plus, Shell prévoit une croissance de 20 à 30% de son activité gazière d’ici 2030, une stratégie difficilement compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris qui vise à contenir le réchauffement bien en-dessous de 2°C.
Shell va-t-il devoir revoir sa copie ?
Si le tribunal confirme le jugement de 2021, Shell devra sérieusement revoir ses ambitions pour se conformer à la décision sous peine de sanctions. Un nouveau revers serait un signal fort pour l’ensemble de l’industrie pétrolière et gazière, soumise à une pression croissante pour accélérer sa transition énergétique face à l’urgence climatique.
A contrario, une victoire de Shell en appel pourrait freiner la dynamique actuelle visant à contraindre juridiquement les entreprises à réduire leur impact sur le climat. Selon une source proche du dossier, les deux parties conservent la possibilité de se pourvoir en cassation, mais cette instance se concentrerait davantage sur les aspects procéduraux que sur le fond de l’affaire.
Vers une multiplication des actions en justice climatique
Au-delà du cas Shell, on assiste ces dernières années à une recrudescence des poursuites judiciaires contre les États et les entreprises pour leur inaction ou leur contribution au réchauffement. Des citoyens, des ONG mais aussi des collectivités locales n’hésitent plus à saisir la justice pour faire valoir un “droit à un environnement sain”.
Parmi les affaires emblématiques, on peut citer la condamnation de l’État néerlandais en 2019, la plainte déposée par des villes américaines contre les majors pétrolières ou encore l’assignation de Total par des ONG françaises pour manquement à son “devoir de vigilance”. Si toutes n’aboutissent pas, ces actions contribuent à maintenir la pression sur les acteurs publics et privés.
Un jugement très attendu
Au-delà des conséquences pour Shell, la décision de mardi sera donc scrutée de près par tous les acteurs engagés dans la lutte contre le changement climatique. Un jugement favorable aux ONG pourrait créer un précédent et ouvrir la voie à de nouvelles actions en justice visant à contraindre les entreprises à aligner leurs activités sur les objectifs de l’Accord de Paris.
A l’inverse, un revers pour les défenseurs de l’environnement serait un coup dur et un signal négatif envoyé aux multinationales tentées de ralentir leur transition énergétique. Quoi qu’il en soit, l’affaire Shell montre que le temps presse et que l’heure n’est plus aux demi-mesures si l’on veut éviter les scénarios climatiques les plus catastrophiques.