Imaginez ouvrir une application de mode ultra-populaire et tomber, au milieu des robes à 9 euros, sur des poupées sexuelles de 1,20 mètre arborant le visage d’une enfant de dix ans, parfois accompagnées d’un nounours. Ce n’est pas le scénario d’un film d’horreur. C’est ce qui s’est réellement passé sur Shein fin octobre dernier. Et aujourd’hui, la plateforme risque purement et simplement d’être bloquée en France.
Une audience sous très haute tension
Vendredi dernier, le tribunal judiciaire de Paris a fixé au 19 décembre la date du délibéré. L’État français demande une suspension de trois mois de l’accès à Shein, accusant le géant chinois d’avoir commercialisé des produits manifestement illicites, dont ces fameuses poupées à l’apparence pédophile.
Dans la salle, les arguments ont fusé. L’avocat de l’État, Renaud Le Gunehec, n’a pas mâché ses mots : ce n’était pas un « accident », mais « une offre massive ouvertement pédophile ». De l’autre côté, les conseils de Shein, Julia Bombardier et Kami Haeri, ont dénoncé une demande « hors sujet, irrecevable, disproportionnée et illégale ».
Que s’est-il passé exactement ?
Fin octobre, des internautes et des associations découvrent avec stupeur que la marketplace de Shein propose plusieurs modèles de poupées sexuelles ultra-réalistes à l’effigie de très jeunes filles. Certaines références affichent même un ours en peluche comme accessoire. Le scandale éclate immédiatement.
Le 5 novembre, le gouvernement français adresse un ultimatum : 48 heures pour retirer tous les produits litigieux. Shein s’exécute rapidement et retire également l’ensemble des articles vendus par des tiers (hors habillement). Mais pour l’État, le mal est fait. Les procédures judiciaires sont maintenues.
« On ne trouvera plus des poupées sexuelles d’1,20 m avec des visages de fillette de 10 ans et des orifices sexuels… ou des machettes à double lame »
Renaud Le Gunehec, avocat de l’État français
Shein crie à l’injustice
Pour la défense de la plateforme, le dommage a disparu dès le retrait des produits. Bloquer totalement le site pendant trois mois serait donc disproportionné. Shein met en avant le fait qu’elle a agi vite et qu’elle renforce continuellement ses contrôles.
Mais un point crucial pose problème : la marketplace, c’est-à-dire la partie du site où des vendeurs tiers peuvent proposer leurs produits, reste fermée en France depuis début novembre. Et les avocats de Shein avouent ne pas être en mesure de donner une date de réouverture, notamment à cause des difficultés à mettre en place des filtres d’âge efficaces pour les contenus pornographiques.
Un blocage total ou une suspension partielle ?
Le parquet lui-même a estimé qu’un blocage total du site apparaissait disproportionné. L’État ne souhaite pas « interdire Shein de faire du commerce », mais imposer un cadre strict pour éviter que de tels produits ne réapparaissent.
Concrètement, si le tribunal suit l’État sans aller jusqu’au blocage complet, Shein resterait accessible en France dans sa version actuelle : uniquement les vêtements vendus directement par la marque, sans marketplace tierce, tant que des garanties solides ne seront pas apportées.
Les scénarios possibles au 19 décembre :
- Suspension totale de trois mois (accès bloqué via les FAI)
- Maintien du statu quo actuel (marketplace fermée, vente directe autorisée)
- Rejet pur et simple de la demande de l’État
Une bataille juridique à plusieurs niveaux
L’État s’appuie sur la loi sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN), qui permet de faire cesser rapidement un dommage causé par un contenu en ligne. Shein conteste l’application de ce texte à son cas.
Par ailleurs, les avocats de la plateforme rappellent que seule la Commission européenne a compétence pour traiter les « risques systémiques » des très grandes plateformes. Et justement, Bruxelles a déjà envoyé des demandes d’information à Shein, première étape avant une éventuelle enquête sous le règlement DSA (Digital Services Act).
Enfin, plusieurs États membres préparent un courrier commun à la Commission européenne pour demander des actions collectives contre les dérives des grandes plateformes d’e-commerce. La France n’est donc pas isolée dans ce combat.
Les fournisseurs d’accès pris dans la tempête
Bouygues, Orange, SFR et Free étaient également assignés, au cas où un blocage devrait être mis en œuvre. Mais les FAI ont fait valoir qu’ils ne pouvaient techniquement pas bloquer l’application mobile de Shein, et que les demandes manquaient de précision sur les domaines à cibler.
Une mobilisation citoyenne devant le tribunal
Devant le palais de justice, une dizaine de militants de l’association Mouv’enfants ont déployé des pancartes choc : « Les poupées sexuelles alimentent le fantasme pédocriminel ». Leur présence a rappelé que derrière les arguments juridiques se joue aussi une question de protection de l’enfance.
Cette affaire Shein n’est pas qu’un simple différend commercial. Elle cristallise des débats de société profonds : jusqu’où les plateformes doivent-elles être responsables des produits vendus par des tiers ? Comment concilier liberté du commerce et protection des plus vulnérables ? Et surtout, comment empêcher que l’ultra-low-cost ne devienne le terreau de dérives inacceptables ?
Le 19 décembre, le tribunal aura entre ses mains bien plus qu’une décision technique. Il rendra un arrêt qui pourrait faire jurisprudence pour toute l’Europe. Et en attendant, des millions de clientes françaises continuent d’acheter leurs vêtements sur Shein… sans marketplace, mais avec une question qui flotte désormais dans l’air : jusqu’à quand ?
(Article mis à jour le 5 décembre 2025 – 3127 mots)









