Imaginez commander une robe à moins de 10 euros, livrée en quelques jours depuis l’autre bout du monde. C’est la promesse irrésistible de Shein, Temu ou AliExpress. Mais derrière ces prix défiant toute concurrence se cachent des pratiques qui font aujourd’hui trembler huit gouvernements européens. Et pas des moindres : la France en tête, suivie par l’Italie, l’Espagne, la Belgique, l’Autriche, la Grèce, la Hongrie et la Pologne.
Ce n’est plus une simple grogne. C’est une offensive coordonnée.
Huit pays unis contre les géants chinois du e-commerce
Lundi, une lettre commune a été adressée à la Commission européenne. Son message est clair : il faut renforcer « sans relâche » la mobilisation face aux « risques systémiques » que représentent ces plateformes venues de pays tiers. Le terme est fort. Il ne s’agit plus seulement de petits dysfonctionnements, mais d’une menace structurelle pour l’économie européenne.
À l’origine de cette initiative, le ministre français du Commerce. Il ne mâche pas ses mots et appelle à des mesures immédiates, y compris des sanctions provisoires tant que les enquêtes sont en cours.
Pourquoi Shein cristallise toutes les colères
Shein n’est pas une marque comme les autres. En quelques années, l’entreprise chinoise est devenue le leader mondial de la fast-fashion ultra-low-cost. Son modèle repose sur trois piliers :
- Des prix imbattables
- Des milliers de nouveaux produits chaque jour
- Une livraison directe depuis la Chine exploitant l’exonération douanière sur les colis de faible valeur
Ce dernier point est crucial. Tant qu’un colis vaut moins de 150 euros (et souvent bien moins), il échappe aux droits de douane et à une bonne partie des contrôles. Résultat : des millions de petits paquets inondent chaque jour l’Europe sans véritable vérification.
Et c’est là que le bât blesse.
Des produits dangereux découverts en masse
Début novembre, les autorités françaises ont découvert sur Shein des poupées sexuelles à l’apparence manifestement enfantine. Un produit choquant, illégal, et pourtant disponible à la commande. L’État français a immédiatement tenté de bloquer la plateforme par voie administrative.
Résultat ? Échec. La procédure n’a pas abouti. L’affaire est désormais entre les mains de la justice, qui rendra sa décision le 19 décembre. Mais Paris ne veut plus attendre.
Car Shein n’est que la partie émergée de l’iceberg. Tests après tests, les associations de consommateurs et les douanes découvrent des taux alarmants de produits non conformes : vêtements contenant des substances cancérigènes, jouets dangereux, cosmétiques interdits en Europe…
« Nous assistons à une concurrence déloyale massive qui met en danger à la fois les consommateurs et nos entreprises »
Extrait de la lettre des huit pays européens
Le Règlement sur les services numériques (DSA) comme arme principale
Depuis l’entrée en vigueur du Digital Services Act, l’Europe dispose d’un arsenal juridique puissant. La Commission a déjà envoyé des demandes d’informations à Shein. Une étape qui peut déboucher sur une enquête formelle, puis sur des sanctions pouvant atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial.
Mais pour les huit pays signataires, cela ne va pas assez vite. Ils réclament :
- Des mesures provisoires immédiates contre Shein
- Le renforcement des sanctions déjà lancées contre Temu et AliExpress
- Une coordination renforcée entre douanes et autorités de protection des consommateurs
- Une révision des obligations imposées aux plateformes en ligne
La bombe : la fin de l’exonération douanière
Le point le plus explosif de la lettre concerne la proposition d’une taxe européenne sur les colis de faible valeur. Cette mesure mettrait fin à un avantage compétitif colossal dont profitent Shein et ses concurrents.
Bonne nouvelle pour les signataires : les ministres des Finances de l’UE ont déjà validé mi-novembre la suppression de cette exonération. L’entrée en vigueur est prévue dès le premier trimestre 2026.
Concrètement, chaque petit colis venu de Chine devra payer des droits de douane et subir des contrôles plus stricts. Un changement qui pourrait bouleverser complètement le modèle économique de la fast-fashion low-cost.
En chiffres : Selon certaines estimations, Shein expédie chaque jour plusieurs millions de colis vers l’Europe. La grande majorité passe sous le seuil des 150 euros et échappe actuellement aux taxes.
Une mobilisation sans précédent
Ce qui frappe dans cette initiative, c’est son caractère transpartisan et transfrontalier. Huit pays, de l’Europe du Sud à l’Europe centrale, de gauche comme de droite, se retrouvent unis sur un même combat.
C’est rare. Et ça en dit long sur l’ampleur du phénomène.
Car au-delà de la protection des consommateurs, c’est tout l’équilibre du marché européen qui est en jeu. Les boutiques physiques et les marques européennes se battent avec des coûts salariaux, des normes environnementales et des taxes que leurs concurrents chinois n’ont pas.
Et maintenant ?
La balle est dans le camp de la Commission européenne. Va-t-elle accéder aux demandes des huit pays et durcir immédiatement le ton ? Ou va-t-elle temporiser, comme elle l’a souvent fait par le passé ?
Une chose est sûre : le temps des avertissements polis est révolu. L’Europe semble prête à passer à l’action. Et quand huit gouvernements font front commun, Bruxelles a tout intérêt à écouter.
Le 19 décembre, la justice française rendra sa décision sur la tentative de suspension de Shein. Mais quel que soit le verdict, la bataille ne fait que commencer.
Car derrière les paillettes et les prix cassés, c’est tout un modèle économique qui est en train d’être remis en question. Et cette fois, l’Europe ne semble plus prête à fermer les yeux.
(Article mis à jour le 8 décembre 2025 – Suivez l’évolution de ce dossier brûlant)









