Imaginez : un pays où chaque jeune, garçon ou fille, doit obligatoirement donner plusieurs mois de sa vie à la collectivité. Pas forcément l’arme à la main, mais dans un hôpital, une association ou une structure d’urgence. Cette idée, qui paraît révolutionnaire ailleurs existe déjà en débat en Suisse, et le peuple tranchera dimanche.
Deux initiatives qui secouent la Confédération
Ce week-end, les quelque 5,6 millions d’électeurs suisses sont appelés aux urnes pour deux votations fédérales explosives. La première pourrait mettre fin au modèle historique du service militaire obligatoire masculin en le remplaçant par un service citoyen ouvert à tous. La seconde propose de taxer lourdement les très grosses successions pour financer la lutte contre le réchauffement climatique.
Les derniers sondages sont sans appel : 64 % contre le service citoyen, 68 % contre la taxe sur les héritages milionnaires. Pourtant, ces deux textes ont déclenché une tempête d’arguments passionnés dans tout le pays.
Le service citoyen : égalité ou nouvelle charge pour les femmes ?
Au cœur du débat : la place des femmes. Aujourd’hui, seuls les hommes suisses accomplissent le service militaire (au minimum quatre mois d’école de recrues suivis de cours de répétition). Les femmes en sont dispensées, mais beaucoup y voient une inégalité flagrante.
« Le système actuel exclut les femmes des réseaux et des expériences que les hommes acquièrent pendant leur service. C’est une discrimination déguisée », explique Noémie Roten, présidente du comité d’initiative.
L’initiative « pour un service citoyen » propose donc de rendre obligatoire, pour chaque citoyen suisse (hommes et femmes) dès 18 ans, un engagement d’au moins quatre mois, soit dans l’armée, soit dans un domaine civil : protection civile, Croix-Rouge, aide sociale, environnement… Le choix appartiendrait à la personne.
Les partisans y voient une avancée majeure vers la véritable égalité des sexes. Dans un contexte géopolitique tendu, avec la guerre aux portes de l’Europe, ils estiment aussi que la Suisse renforcerait sa résilience collective en impliquant toute la population dans sa protection.
Mais les opposants, gouvernement et parlement en tête, dénoncent un projet irréaliste et coûteux. Le coût actuel du service militaire obligatoire serait tout simplement doublé avec l’intégration des femmes.
« Les femmes consacrent déjà 60 % de leur temps à des tâches non rémunérées (garde d’enfants, aide aux proches, ménage…). Leur imposer un service supplémentaire non payé aggraverait encore ce déséquilibre », alerte Cyrielle Huguenot, responsable égalité à l’Union syndicale suisse.
Autre argument massue : la durée. Les initiants assurent qu’avec deux fois plus de personnes disponibles, on pourrait réduire la durée du service à quelques mois seulement, voire la rendre plus flexible. Le gouvernement n’y croit pas et craint une explosion des dépenses.
Comment fonctionne la démocratie directe suisse ?
Pour comprendre l’ampleur du phénomène, il faut rappeler un chiffre magique : en Suisse, 100 000 signatures suffisent pour soumettre presque n’importe quel sujet au vote populaire. Résultat : les citoyens décident régulièrement de questions aussi sensibles que l’âge de la retraite, l’immigration ou… le port du voile intégral.
Cette fois, deux comités distincts ont réussi l’exercice. L’initiative service citoyen avait même démarré très fort dans les sondages avant de perdre du terrain ces dernières semaines. Preuve que le sujet touche une corde sensible.
En résumé, les deux camps s’affrontent sur ces points clés :
- Égalité réelle ou nouvelle inégalité déguisée pour les femmes ?
- Renforcement de la cohésion nationale ou affaiblissement de l’armée ?
- Investissement dans la résilience ou gouffre financier ?
L’autre bombe : taxer les ultra-riches pour sauver le climat
En parallèle, les Suisses votent sur l’Initiative pour l’avenir portée par la Jeunesse socialiste. Le texte est simple : imposer un impôt de 50 % sur la part des successions dépassant 50 millions de francs suisses (environ 53 millions d’euros).
Combien de personnes concernées ? Environ 2 500 foyers. Le rendement attendu ? Jusqu’à six milliards de francs par an, entièrement dédiés à la transition écologique : isolation des bâtiments, énergies renouvelables, transports publics.
Les affiches de campagne ne passent pas inaperçues : « Taxons les ultra-riches, sauvons le climat ! » ou « Ils héritent de milliards, nous héritons des crises ».
Mais là encore, la contre-offensive est massive. Les opposants agitent le spectre du départ des grandes fortunes vers des paradis fiscaux plus accueillants. Ils pointent aussi le risque pour les entreprises familiales de taille moyenne qui pourraient être asphyxiées par cette taxe au moment de la transmission.
Un rejet probable, mais un débat qui marque les esprits
À quelques jours du scrutin, tout indique que les deux initiatives seront refusées. Les sondages suisses, réputés très fiables, ne laissent guère de place au doute.
Cela ne veut pas dire que le sujet est clos. La question de l’égalité dans l’obligation de servir continue de diviser profondément la société. Beaucoup de jeunes femmes se disent prêtes à endosser cette responsabilité si elle est partagée équitablement. D’autres refusent catégoriquement d’ajouter une charge supplémentaire à leur quotidien.
Quant à la taxation des très grandes fortunes, elle reviendra sans doute sous d’autres formes. Le sentiment que les ultra-riches doivent contribuer davantage à la transition climatique est largement partagé, même parmi ceux qui rejettent cette initiative précise.
Une chose est sûre : la démocratie directe suisse continue de fonctionner à plein régime. Dans quelques jours, le peuple aura une nouvelle fois tranché. Et quel que soit le résultat, il aura forcé tout le pays à se regarder en face sur deux questions essentielles : quelle égalité voulons-nous ? Et qui doit payer la facture du futur ?
À suivre dimanche. Les bulletins sont déjà dans les boîtes aux lettres, et les Suisses, comme toujours, prendront leur décision en toute souveraineté.









