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Serbie : La Raffinerie Fermée, Une Crise Énergétique Majeure

Depuis mardi, la seule raffinerie de Serbie est à l’arrêt. Plus de pétrole brut, 80 % des carburants du pays menacés, 13 500 emplois en danger et un risque de sanctions secondaires qui pourrait paralyser la banque centrale… Jusqu’où ira cette crise ?

Imaginez remplir votre réservoir et découvrir que, demain, le carburant pourrait coûter bien plus cher… ou tout simplement manquer. En Serbie, ce scénario n’est plus de la fiction : depuis mardi, la seule raffinerie du pays, celle de Pančevo, a cessé toute activité. Conséquence directe des sanctions américaines contre les actionnaires russes de NIS, l’entreprise qui exploite l’installation. Et les répercussions risquent d’être lourdes, très lourdes.

Une raffinerie unique, une dépendance totale

En Serbie, il n’existe qu’une seule raffinerie capable de transformer le pétrole brut en carburant. Située à Pančevo, à une vingtaine de kilomètres de Belgrade, elle appartient à NIS (Naftna Industrija Srbije), dont les actionnaires russes – Gazprom Neft et d’autres entités – détiennent environ 56 % du capital.

Cette installation couvre à elle seule 80 % des besoins nationaux en essence, diesel et autres produits pétroliers. Quand elle s’arrête, c’est toute la chaîne d’approvisionnement qui vacille. Depuis le 9 octobre, plus aucune goutte de pétrole brut n’entre dans les cuves. Deux mois de stocks épuisés, et voilà le pays forcé de se tourner vers des importations massives de carburant fini, beaucoup plus coûteuses.

Des sanctions américaines implacables

Washington n’a pas fait dans la demi-mesure. Les sanctions visent directement les propriétaires russes de NIS. Pour les lever, une seule condition : une sortie totale des capitaux russes. Autrement dit, vendre les parts à des investisseurs non russes.

Jusqu’à présent, Moscou reste silencieux. Aucun signe de volonté de céder. Face à cette impasse, le président serbe Aleksandar Vučić a pris la décision douloureuse mais inévitable : mettre la raffinerie à l’arrêt. Une mesure technique, certes, mais aux conséquences économiques et sociales potentiellement dévastatrices.

« NIS est une entreprise très importante pour l’économie serbe, et toute réduction de son activité aurait un impact substantiel sur l’activité économique globale »

Dejan Šoškić, ancien gouverneur de la Banque nationale de Serbie

Un choc qui pourrait durer des années

Les experts sont unanimes : les effets de cette fermeture se feront sentir bien au-delà de quelques semaines. Croissance en berne, inflation sur les carburants, pression sur les comptes publics… le pays risque de payer cher sa dépendance historique au pétrole russe.

En 2024, NIS et ses filiales ont rapporté plus de 2 milliards d’euros à l’État serbe, soit près de 12 % du budget national. Une manne fiscale qui pourrait fondre comme neige au soleil si l’entreprise réduit la voilure ou, pire, si elle doit licencier massivement.

Avec environ 13 500 salariés directs et des milliers d’emplois indirects, NIS fait partie des plus gros employeurs du pays. Une vague de licenciements serait un coup dur pour des régions déjà fragilisées.

Le spectre des sanctions secondaires

Mais le plus effrayant n’est peut-être pas là. Si la Banque nationale de Serbie continue d’autoriser NIS – désormais entité sanctionnée – à opérer sur les marchés financiers, Washington pourrait frapper encore plus fort : des sanctions secondaires contre la banque centrale elle-même.

Aleksandar Vučić l’a dit sans détour : cela signerait « la destruction totale du système financier serbe ». Gel des avoirs à l’étranger, impossibilité d’intervenir sur les marchés internationaux, climat des affaires anéanti… le scénario cauchemar.

Pour l’instant, NIS peut encore effectuer quelques transactions jusqu’à la fin de la semaine, notamment pour payer salaires et fournisseurs. Après ? L’incertitude règne.

Stations-service : un tiers risque de fermer

NIS possède environ 20 % des stations-service du pays. Si l’entreprise ne peut plus ni recevoir ni envoyer d’argent, ses pompes fermeront, même si elles trouvaient du carburant ailleurs.

Et ce n’est pas tout. Lukoil, autre géant russe, exploite une centaine de stations en Serbie. Sa licence expire le 13 décembre. Si elle n’est pas renouvelée, c’est un nouveau tiers du réseau national qui pourrait disparaître.

Scénario noir : NIS + Lukoil à l’arrêt = environ 33 % des stations-service serbes fermées. Des files d’attente interminables, des prix qui flambent, une économie locale paralysée.

Les réserves existent… mais pour combien de temps ?

Le président Vučić se veut rassurant : les réserves stratégiques de l’État tiendraient « plusieurs mois ». Il refuse toutefois de donner des chiffres précis. En parallèle, il évoque la possibilité de réduire les taxes sur les carburants pour amortir la hausse inévitable des prix à la pompe.

Mais importer massivement du carburant fini coûte beaucoup plus cher que de le produire localement. Et chaque euro dépensé en plus pèse sur la balance commerciale déjà fragile du pays.

Un ultimatum jusqu’à mi-janvier

Face au blocage, Belgrade a fixé une deadline : les actionnaires russes ont jusqu’à la mi-janvier pour vendre. Des investisseurs hongrois et émiratis seraient sur les rangs. Si rien ne bouge, la Serbie est prête à racheter elle-même NIS.

Dans le budget 2026, tout juste adopté, 1,4 milliard d’euros ont été provisionnés à cet effet. Ironie de l’histoire : en 2008, la Serbie avait cédé la majorité de NIS à Gazprom pour… 400 millions d’euros seulement.

Et le gaz dans tout ça ?

Comme un malheur n’arrive jamais seul, le contrat gazier qui lie la Serbie à la Russie expire fin décembre. Plus de 92 % du gaz consommé dans le pays vient de Moscou. Aleksandar Vučić a prévenu : si aucun accord n’est trouvé d’ici vendredi 5 décembre, Belgrade se tournera vers d’autres fournisseurs.

Diversifier rapidement est plus facile à dire qu’à faire. Les infrastructures (gazoducs, terminaux GNL) ne se construisent pas en quelques semaines. L’hiver s’annonce tendu.

Un pays coincé entre deux feux

La Serbie marche sur une corde raide. D’un côté, sa proximité historique avec la Russie. De l’autre, la pression occidentale, États-Unis en tête, pour s’aligner sur les sanctions liées à l’Ukraine.

Refuser de sanctionner Moscou avait jusqu’ici permis à Belgrade de bénéficier de pétrole et de gaz à des prix avantageux. Aujourd’hui, cette position neutre se retourne contre elle. Le bras de fer actuel montre les limites de cette stratégie d’équilibriste.

En fermant la raffinerie, le gouvernement serbe envoie un message clair : il ne sacrifiera pas son système financier pour sauver NIS à tout prix. Mais le prix à payer pour les citoyens risque d’être élevé : hausse des carburants, menace sur l’emploi, incertitude énergétique.

La crise actuelle n’est pas seulement technique ou économique. Elle est profondément géopolitique. Et elle illustre, une fois de plus, à quel point l’énergie reste une arme dans les conflits internationaux.

Dans les prochaines semaines, tous les regards seront tournés vers Moscou, Washington… et Belgrade. La Serbie parviendra-t-elle à sortir de l’impasse sans trop de casse ? Ou cette fermeture de raffinerie ne sera-t-elle que le début d’une crise bien plus profonde ? L’avenir le dira. Mais une chose est sûre : le pays entre dans une zone de turbulences majeures.

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