Imaginez une machine colossale, bardée de leviers, de tuyaux et de voyants clignotants, qui pilote l’économie la plus puissante du monde. Cette machine existe : c’est la Réserve fédérale américaine. Et pour la première fois depuis longtemps, un haut responsable ose dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : elle est devenue beaucoup trop compliquée.
C’est Scott Bessent, le nouveau secrétaire au Trésor nommé par Donald Trump, qui a tenu ces propos sans détour lors d’une interview télévisée. Selon lui, la capacité à simplifier les rouages de la Fed est désormais l’un des critères majeurs pour choisir le successeur de Jerome Powell. Une déclaration qui fait l’effet d’un coup de tonnerre dans les couloirs de Washington.
La Fed, une usine à gaz monétaire ?
Depuis la crise financière de 2008 et surtout depuis la pandémie, la banque centrale américaine a multiplié les outils. Bilan passé de 900 milliards à près de 9 000 milliards de dollars, intérêt sur les réserves, facilités de repo permanentes, achats massifs d’obligations d’État et hypothécaires… À tel point que même les banquiers centraux peinent parfois à s’y retrouver.
Scott Bessent l’a dit crûment : « La Fed est devenue une opération très compliquée ». Et il n’est pas le seul à le penser. Des économistes de tous bords critiquent depuis des années cette accumulation d’instruments qui rend la politique monétaire moins lisible et potentiellement moins efficace.
« Le régime des réserves abondantes montre peut-être quelques signes de fatigue »
Scott Bessent, secrétaire au Trésor des États-Unis
Les cinq finalistes dans la course
Le casting est prestigieux. Mardi, Scott Bessent recevait les cinq candidats retenus pour un ultime entretien. Le président Trump pourrait annoncer sa décision avant le 25 décembre. Qui sont ces prétendants au poste le plus puissant de la finance mondiale ?
- Christopher Waller – Gouverneur de la Fed, connu pour ses positions plutôt hawkish ces dernières années
- Michelle Bowman – Autre gouverneure actuelle, souvent critique des excès réglementaires
- Kevin Warsh – Ancien gouverneur (2006-2011), partisan d’une Fed moins interventionniste
- Kevin Hassett – Directeur du Conseil économique national, proche de Trump lors du premier mandat
- Rick Rieder – Gestionnaire star chez BlackRock, maître des obligations et fin connaisseur des marchés
Chacun apporte un profil différent. Mais tous savent qu’un mot revient en boucle dans les discussions : simplification.
Le régime des « réserves abondantes » dans le viseur
Au cœur du débat : le système dit des « ample reserves ». Depuis 2008, la Fed inonde le système bancaire de liquidités et rémunère les réserves que les banques déposent chez elle. L’idée ? Contrôler les taux courts sans avoir à intervenir quotidiennement sur les marchés comme avant.
Mais ce système montre des signes d’essoufflement. Fin octobre, la Standing Repo Facility – cette sorte de soupape de sécurité – a atteint 50,4 milliards de dollars, son niveau le plus élevé depuis sa création. Preuve que certaines banques ont du mal à trouver des liquidités ailleurs.
Scott Bessent a été clair : « On peut se demander si les réserves sont encore vraiment abondantes ». Traduction : le système actuel, censé être fluide et automatique, commence à grincer.
Que pourrait changer un nouveau président ?
Plusieurs pistes circulent déjà dans les cercles économiques.
- Retour partiel au « corridor system » à la canadienne ou européenne : moins de réserves excédentaires, plus d’interventions directes sur les taux
- Réduction progressive mais significative du bilan (QT accéléré)
- Suppression ou refonte de certaines facilités permanentes jugées redondantes
- Communication plus claire et prévisible, loin du « forward guidance » parfois alambiqué
Kevin Warsh, notamment, a souvent plaidé dans le passé pour une Fed qui « en fait moins, mais mieux ». Un discours qui pourrait séduire l’administration Trump, partisane d’un État moins tentaculaire.
Pourquoi cette simplification est cruciale maintenant
Le timing n’est pas anodin. L’économie américaine navigue entre inflation encore élevée dans certains secteurs, croissance robuste et marchés financiers à des niveaux records. Toute erreur de pilotage pourrait avoir des conséquences dramatiques.
De plus, la dette publique explose. La Fed détient aujourd’hui plus de 25 % de la dette fédérale. Une situation jamais vue en temps de paix. Simplifier les outils permettrait peut-être de préparer une sortie moins brutale de cette dépendance mutuelle entre Trésor et banque centrale.
Enfin, il y a une dimension politique. Donald Trump n’a jamais caché son souhait d’une Fed plus « réactive » à ses objectifs économiques. Jerome Powell, nommé par lui en 2017, avait fini par devenir une cible après avoir relevé les taux en 2018. Cette fois, l’administration veut quelqu’un qui comprenne que la complexité actuelle peut aussi servir de bouclier à l’indépendance de la Fed.
Les marchés retiennent leur souffle
Les investisseurs suivent l’affaire de très près. Un virage vers plus de simplicité pourrait signifier des taux plus volatils à court terme, mais aussi une politique monétaire plus lisible à moyen terme.
Certains y voient même le prélude à une baisse plus rapide des taux en 2026 si la croissance ralentit, car une Fed simplifiée serait plus réactive. D’autres craignent au contraire un durcissement si le nouveau président adopte une posture très hawkish pour prouver sa crédibilité.
Un choix avant Noël : symbolique forte
Scott Bessent a répété que l’annonce pourrait intervenir avant le 25 décembre. Un cadeau de Noël empoisonné pour Jerome Powell, dont le mandat expire en mai 2026, mais qui pourrait être remercié plus tôt.
Ce calendrier serré montre l’urgence ressentie par la nouvelle administration. On ne parle plus seulement de personne, mais de doctrine. Le prochain président de la Fed ne sera pas seulement un technicien : il sera le porte-étendard d’une refonte profonde du système monétaire américain.
Et pendant ce temps, la machine continue de tourner. Avec ses 9 000 milliards de bilan, ses dizaines de facilités et ses milliers de pages de réglementations. En attendant celui ou celle qui aura le courage – et le mandat – de la rendre à nouveau compréhensible par tous.
Car au fond, comme le disait déjà Milton Friedman, une bonne politique monétaire devrait pouvoir s’expliquer en une phrase. La Fed d’aujourd’hui en est très loin. Le prochain président aura quatre ans pour essayer de s’en rapprocher.
À retenir : Le critère de simplification imposé par Scott Bessent pourrait marquer un tournant historique dans la manière dont la Fed conduit la politique monétaire. Rarement un secrétaire au Trésor n’avait été aussi explicite sur la direction souhaitée. Le choix du prochain président ne sera pas seulement technique : il sera profondément politique.
L’histoire nous dira bientôt si cette exigence de clarté sera tenue. Ou si, comme souvent, la complexité finira par l’emporter une fois de plus.









