La France est sous le choc. L’Abbé Pierre, figure emblématique de la charité et fondateur du mouvement Emmaüs, est accusé d’agressions sexuelles par huit femmes, dont une mineure au moment des faits présumés. Ces révélations, issues d’une enquête commandée par Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre, ébranlent le pays et remettent en question l’héritage de celui que l’on surnommait “le curé des pauvres”. Les témoignages glaçants des victimes dépeignent un homme bien différent de l’image publique de l’infatigable défenseur des démunis.
Des témoignages bouleversants
Parmi les accusatrices, sept femmes affirment avoir subi des agressions sexuelles de la part de l’Abbé Pierre entre 1970 et 2005, alors qu’il était âgé de 58 à 93 ans. Mais le témoignage le plus récent, rapporté par France Inter, concerne des faits qui se seraient déroulés en 2006, un an seulement avant la mort de l’Abbé à l’âge de 94 ans. La victime présumée, une infirmière quadragénaire, raconte qu’alors qu’elle accompagnait l’Abbé Pierre pour sa toilette dans un hôpital militaire d’Île-de-France, celui-ci lui aurait “agrippé les deux seins” alors qu’il était “en pleine possession de ses moyens”. Choquée, elle affirme l’avoir giflé en retour.
“Je lui ai répondu : ‘Dans cette grande chambre, vous n’avez trouvé que mes seins pour vous tenir ?'”, confie-t-elle, encore marquée par cette agression.
La victime présumée à France Inter
Un lourd secret de famille
Mais cette infirmière n’est pas la seule à avoir subi ce type de comportements déplacés. Selon elle, plusieurs de ses collègues auraient confié avoir également été victimes d’attouchements de la part de l’Abbé Pierre. Un lourd secret qui semble avoir été tu pendant des années au sein de l’établissement.
Bien que profondément choquée, cette mère de famille explique avoir gardé le silence par “devoir de réserve” en tant que soignante et ancienne militaire. Aujourd’hui “ébranlée dans sa foi catholique”, elle se dit néanmoins soulagée par les récentes révélations. Si elle n’a pas encore témoigné auprès de la commission d’enquête, elle estime le devoir à ses enfants et aux autres victimes qui ont eu “le courage de parler”.
L’Église face à ses démons
Ce nouveau scandale d’agressions sexuelles est un coup de tonnerre pour l’Église catholique française, déjà ébranlée ces dernières années par une série de révélations similaires. De la pédocriminalité à grande échelle mise en lumière par le rapport Sauvé en 2021, à l’omerta qui a longtemps régné au sein de l’institution, c’est tout un système qui est remis en cause. Avec ces accusations visant l’une des personnalités catholiques les plus respectées de France, c’est un nouveau pan de l’histoire de l’Église qui s’effondre.
Emmaüs face à son fondateur
Pour Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre, c’est une véritable onde de choc. Les deux organisations, qui ont commandé l’enquête à l’origine de ces révélations, se retrouvent aujourd’hui face à un délicat dilemme : comment gérer l’héritage de leur fondateur tout en soutenant les victimes ? Dans un communiqué, Emmaüs a tenu à exprimer son “émotion” et sa “tristesse” face à ces “actes inacceptables”, assurant que des mesures seraient prises pour que “la lumière soit faite”. La Fondation, de son côté, a réaffirmé son engagement à lutter contre toutes les formes de violences sexuelles.
“Nous mesurons le choc et la peine que ces révélations provoquent chez les compagnons, bénévoles, salariés et sympathisants du Mouvement Emmaüs. Nous les assurons de notre détermination sans faille à rechercher la vérité.”
Extrait du communiqué d’Emmaüs
Un “homme comme les autres” derrière l’icône
Au-delà du séisme provoqué pour l’Église et le milieu caritatif, ces accusations interrogent sur l’homme derrière la figure tutélaire de l’Abbé Pierre. Celui que l’on a érigé en icône, “saint” de son vivant, était-il finalement un “homme comme les autres”, avec ses parts d’ombre ? C’est en tout cas ce que semblent confirmer les victimes présumées, pour qui ces révélations, si elles ne remettent pas en cause le combat de l’Abbé pour les plus démunis, écornent sérieusement le mythe. “Ce n’est pas un saint”, résume l’une d’elles.
Une chose est sûre : il faudra du temps pour que la société française digère ce nouveau scandale qui fait vaciller l’un de ses monuments. Mais il en faudra encore plus aux victimes pour se reconstruire. En brisant le silence, elles espèrent aujourd’hui faire éclater la vérité sur celui que l’on pensait irréprochable. Une vérité qui risque de laisser des traces indélébiles sur l’héritage de l’Abbé Pierre, malgré son action incontestable contre la misère.