Imaginez le temple du football argentin, ce pays où le ballon est une religion, soudain envahi par des policiers en civil. Mardi matin, le siège de l’AFA et le centre d’entraînement de la sélection nationale à Ezeiza ont été perquisitionnés. Plus de vingt-cinq clubs, dont certains des plus mythiques, ont subi le même sort. Le motif ? Des soupçons massifs de blanchiment d’argent. À moins de sept mois de la défense du titre mondial, le choc est brutal.
Un coup de tonnerre dans le football argentin
Entre 25 et 30 perquisitions ont été menées simultanément à travers le pays. Des clubs de première division comme Racing Club – qui dispute pourtant la finale du championnat samedi –, Independiente, San Lorenzo ou Banfield ont vu leurs locaux fouillés. Même des équipes plus modestes, comme Atlético Excursionistas en troisième division, sont concernées. Le camp d’entraînement de l’Albiceleste à Ezeiza n’a pas été épargné. L’ampleur de l’opération est inédite.
Au centre de l’enquête : la société financière Sur Finanzas, sponsor officiel de la sélection argentine en 2024 et de nombreux clubs. Cette entreprise, dirigée par un proche du président de l’AFA Claudio “Chiqui” Tapia, est soupçonnée de graves malversations.
Sur Finanzas, la pompe à scandales
Le mois dernier, la Direction générale des impôts avait déjà déposé plainte contre Sur Finanzas pour évasion fiscale. Le montant évoqué donne le vertige : près d’un demi-milliard d’euros. La justice cherche désormais à comprendre si l’entreprise utilisait des prête-noms et accordait des prêts aux clubs en échange, par exemple, de droits de retransmission télévisée.
La juge en charge du dossier a ordonné la levée du secret bancaire pour tous les clubs perquisitionnés. Chaque contrat de sponsoring, chaque mouvement de fonds va être passé au peigne fin.
« L’accord avec Sur Finanzas n’était qu’un accord de publicité et de sponsoring »
Racing Club, dans un communiqué officiel
Le Racing, finaliste du championnat, a tenté de minimiser l’affaire. Le club assure que le contrat prend fin le 31 décembre 2025 et que Sur Finanzas lui doit même de l’argent. Même discours du côté d’Excursionistas : « aucun lien financier ou administratif », juste un parrainage classique.
Claudio Tapia, l’homme qui défie les présidents
À la tête de l’AFA depuis 2017, Claudio Tapia est un personnage central du football argentin. Ancien dirigeant syndical, il a su imposer sa loi dans un milieu réputé ingouvernable. Mais son omnipotence suscite de plus en plus de critiques.
Récemment, l’AFA a créé un titre de champion annuel en cumulant les points des deux tournois semestriels. Résultat : Rosario Central, le club d’Angel Di Maria, s’est vu remettre un trophée alors que la finale du tournoi de clôture n’a pas encore eu lieu. Une décision perçue comme arbitraire par beaucoup.
Estudiantes a boycotté la remise du trophée lors d’un match. Réponse de l’AFA : six mois de suspension pour son président Juan Sebastián Verón. La guerre est déclarée.
Le fantôme de Barracas Central
Un autre club revient régulièrement dans les conversations : Barracas Central. Claudio Tapia en était le président avant de prendre les rênes de l’AFA. Aujourd’hui, c’est son fils qui dirige l’équipe. Or, Barracas Central, promu récemment en première division, bénéficie régulièrement de décisions arbitrales très favorables. Les soupçons de favoritisme sont tenaces.
Et voilà que ce même club a été perquisitionné dans le cadre de l’opération Sur Finanzas. Le timing est troublant.
Javier Milei dans l’équation
Le président ultralibéral Javier Milei rêve de transformer les clubs argentins, historiquement des associations de socios, en sociétés anonymes ouvertes aux investisseurs étrangers. Un projet que Claudio Tapia combat farouchement.
Il y a deux semaines, Tapia lançait, provocateur : « Trois présidents sont passés en neuf ans, moi je suis toujours là. Et j’ai encore du temps devant moi » (son mandat court jusqu’en 2028).
Certains y voient une réponse directe à Milei. D’autres estiment que l’offensive judiciaire actuelle pourrait avoir des motivations politiques. Dans l’Argentine d’aujourd’hui, tout est possible.
Et le Mondial dans tout ça ?
À sept mois du début du Mondial 2026, co-organisé par les États-Unis, le Mexique et le Canada, l’Argentine championne en titre traverse une tempête institutionnelle sans précédent. Lionel Scaloni et ses joueurs préparent la défense du titre dans un climat lourd.
Le risque ? Que l’affaire prenne une dimension internationale et ternisse l’image d’un pays qui vit le football comme une passion nationale. Les supporters, eux, oscillent entre colère et lassitude.
Sur les réseaux sociaux argentins, les hashtags #AFACorrupta et #TapiaRenuncia caracolent en tête des tendances depuis 48 heures.
Que peut-il se passer maintenant ?
L’enquête ne fait que commencer. La levée du secret bancaire va permettre d’accéder à des milliers de transactions. Si les soupçons se confirment, des dirigeants pourraient être inculpés. Voire le président de l’AFA lui-même.
Certains clubs risquent des sanctions sportives lourdes : retrait de points, interdiction de recrutement, voire relégation administrative. Le championnat argentin, déjà chaotique, pourrait plonger dans l’inconnu.
Et pendant ce temps, samedi soir, Racing et Estudiantes se disputeront le titre de champion de clôture sous les yeux du monde entier. Un match qui, quoi qu’il arrive, entrera dans l’histoire… mais peut-être pas pour les bonnes raisons.
Le football argentin a survécu à tout : crises économiques, guerres de pouvoir, scandales à répétition. Il survivra probablement à celui-ci. Mais à quel prix ? L’avenir nous le dira. Très vite.
En résumé :
• Plus de 25 perquisitions simultanées
• AFA, sélection nationale et grands clubs visés
• Sur Finanzas au cœur des soupçons de blanchiment
• 500 millions d’euros d’évasion fiscale présumée
• Conflit ouvert entre Claudio Tapia et Javier Milei
• Le football argentin sous tension avant le Mondial 2026
Une chose est sûre : rarement un scandale n’aura autant menacé l’équilibre fragile du football le plus passionné de la planète. À suivre, de très près.
